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l’année qu’il devait faire à l’Institution royale. Le jour venu, Faraday fait asseoir son jeune confrère à sa droite, et là, devant la brillante assemblée qui remplissait l’amphithéâtre de l’Institution, il annonce que le sujet de sa leçon sera l’exposé des travaux que le jeune savant français qui se trouve à côté de lui vient de publier sur la reproduction artificielle des pierres gemmes. On sait qu’Ebelmen avait réussi en 1847 à produire par voie de synthèse des minéraux tels que le spinelle et le corindon, que la nature seule avait formés jusque-là. M. Chevreul, en annonçant à l’Académie la perte qu’elle venait de faire, a rappelé ce trait de bonté de Faraday, qui, placé au faîte de la gloire, prend sous son égide un étranger trop jeune encore pour avoir été seulement apprécié dans son propre pays, et le présente à ses compatriotes, non en le louant par de vaines paroles, mais en faisant ressortir ce qu’il a fait.

M. Henri Sainte-Claire Deville a donné un récit intéressant d’une visite qu’il fit à l’illustre physicien anglais en 1855. À cette époque, Faraday passait ses journées jusqu’à trois heures au moins dans le laboratoire de l’Institution royale : il y travaillait en silence, demandant bien rarement l’aide de son digne assistant, M. Anderson. « Quand un étranger favorisé, comme je l’ai été pendant une semaine, dit M. Deville, a la bonne fortune de travailler dans ce laboratoire, le maître l’entoure de toute sorte de soins et de prévenances. Dans ces relations de tous les instans, la cordialité et le désir d’être utile incessamment témoignés par M. Faraday pouvaient seuls, chez l’humble confrère qui écrit aujourd’hui ces lignes, combattre la crainte de déranger un grand esprit qui médite et un expérimentateur des plus habiles imaginant, construisant lui-même ses appareils de démonstration. » Les hommes d’état les plus illustres de l’Angleterre venaient dans ce laboratoire, on les voyait aborder leur « grand électricien » avec cette respectueuse familiarité qui indique l’estime réciproque et les habitudes d’une égalité parfaite. « Un jour, dit M. Deville, j’y ai assisté à un entretien remarquable où Michel Faraday avait pour interlocuteur le regrettable prince Albert. La courtoisie de mon hôte avait fait tenir cette conversation en français : il m’est impossible d’exprimer ici l’admiration que j’ai éprouvée pour l’illustre savant et pour son auguste visiteur. Celui-ci, dans un langage plein de sens et de modération, où toutes les délicatesses de notre langue le servaient à merveille, préconisait notre système de l’enseignement par l’état. M. Faraday soutenait, avec une douce, mais inflexible énergie, le système anglais de la liberté absolue. J’en conclus qu’un prince si sage et si sagement conseillé devait rarement persister dans l’erreur. »

Un des beaux côtés du caractère de Faraday était la loyauté avec laquelle il s’empressait de reconnaître les droits des autres dès qu’on lui signalait une coïncidence ou un semblant d’antériorité. Il rendait justice à ses devanciers d’une manière scrupuleuse, et ne fut jamais en butte à