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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


qu’on pouvait d’ecclésiastiques étrangers et d’évêques en passage : d’ailleurs la célébrité du nom d’Épiphane suffisait pour attirer au conciliabule nombre de visiteurs en dehors de l’esprit de faction. Il faut rendre aussi cette justice au vieil évêque, que, sauf les questions relatives à l’origénisme et à l’excommunication des Longs-Frères, il passait assez légèrement sur les accusations personnelles dont on poursuivait le métropolitain. C’était la fausse idée que Chrysostome était origéniste, communiquait avec des origénistes et continuait à suivre dans ses enseignement l’hérésiarque contre lequel Épiphane avait fulminé tant d’anathèmes, c’était cette idée qui l’avait amené à Constantinople et continuait à nourrir son ressentiment ; sur le reste, il ne manifestait aucune passion. Les séances tenues dans son logis consistaient donc en conférences de pure érudition, où l’auteur de tant d’ouvrages théologiques renommés déployait son vaste savoir avec d’autant plus d’insistance que la question était peu familière à la plupart de ses auditeurs. Il put s’en apercevoir plus d’une fois, et les étrangers, qui ne savaient pas le fond des choses et qu’attirait l’amour sincère de la vérité, s’en retournaient parfois tout ébahis de ce qu’ils entendaient. Ces étonnemens naïfs donnèrent lieu à une aventure dont les amis de Chrysostome tirèrent avantage, et qui divertit les païens et les indifférens, toujours prêts à rire de tout.

Il y avait dans l’assistance, parmi les plus curieux et les plus candides, un Goth élevé en Grèce, où, devenu chrétien catholique et prêtre, il avait adopté le nom de Théotime. Son utilité comme barbare et son zèle apostolique comme prêtre contribuèrent à en faire un évêque métropolitain de la petite Scythie, province des embouchures du Danube. Il résidait en cette qualité dans la ville de Tomes, ancien lieu d’exil du poète Ovide, devenu au Ve siècle le grand marché des Huns et des Goths, et le siége d’un apostolat chrétien dont aucune élégance littéraire n’adoucissait la rudesse. Théotime n’était pas seulement l’évêque, il était le médecin et au besoin l’intermédiaire commercial de ces populations sauvages, qui affluaient dans sa ville à certains jours, et des populations romaines, presque aussi sauvages, qui vivaient du trafic ou de la guerre avec les barbares. Parlant couramment les idiomes étrangers, il allait recruter ses ouailles dans les foires, vêtu d’un costume semi-barbare, et laissant flotter sur une robe épiscopale l’épaisse et longue chevelure des Goths, Il attirait aussi ses néophytes dans sa maison à de grands festins où il les catéchisait, les affaires chez ces peuples, principalement chez les Huns, se traitant d’ordinaire à table. Plus d’une fois ce bon prêtre s’était vu rebuter avec violence, plus d’une fois il s’était trouvé en danger de la vie ; mais il supportait patiemment les insultes, et il avait échappé aux blessures. Les plus