Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/989

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se sont fréquemment demandé quelle est la part de la mer dans la formation des îles. Parmi ces terres qui parsèment la surface de l’océan, les unes disposées en groupes ou en séries, les autres complètement solitaires, comment distinguer celles que la mer a détachées des continens et celles qui de tout temps ont existé d’une manière isolée comme des mondes à part ? Est-il même possible, dans l’état actuel de la science, de tenter une classification des îles suivant leur origine ? C’est là, il est vrai, une œuvre qui n’avait point encore été entreprise ; mais, en appelant à son aide les ressources nouvelles que la botanique et la zoologie offrent à la géographie physique, M. Oscar Peschel n’a point reculé devant ce problème, et nous croyons qu’il l’a heureusement résolu. L’éminent professeur, avec qui nous avons eu récemment le bonheur de nous rencontrer dans une explication des remarquables découpures du littoral de Scandinavie[1], affirme que l’on peut désormais indiquer avec certitude le mode de formation de chaque terre océanique, et les preuves qu’il donne à l’appui de sa théorie ne sauraient manquer de faire partager ses convictions à cet égard.

D’abord il est évident que les îles, les îlots et les écueils rocheux situés dans le voisinage immédiat des côtes sont une dépendance naturelle des continens et en font géologiquement partie. A la base des hautes montagnes qui projettent au loin dans la mer des caps avancés, semblables aux racines d’un chêne, on peut en maint endroit voir, pour ainsi dire, se continuer sous la surface de l’océan la crête des chaînons latéraux. Le profil des hauteurs continentales s’abaisse par degrés : aux monts succèdent les collines, puis vient le promontoire de rochers dont les escarpemens plongent sous la nappe unie des eaux. Un faible détroit, simple échancrure où se rencontrent les vagues, sépare le cap d’une île moins élevée ; mais plus loin s’ouvre un large canal, et la cime qui se montre à la surface de l’autre côté de la vallée sous-marine n’est plus qu’une aiguille de rocher. Au-delà s’étend la haute mer, où les écueils submergés, s’il en existe encore, ne se révèlent que par l’écume des brisans. Sur toutes les côtes abruptes, ces îlots appartenant à l’architecture primitive du continent sont fort nombreux, et même en certains parages forment de véritables archipels. La Norvège, l’Ecosse occidentale, le Groenland, la Patagonie chilienne et toutes les contrées où les fiords changent le littoral en un immense labyrinthe sont ainsi bordés d’îles innombrables ayant également leurs découpures, leurs détroits, leurs ceintures d’îlots. C’est que, depuis la retraite relativement récente des glaciers qui remplissaient tout

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mars 1867, l’étude sur les Fiords et les Glaciers.