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contre l’hypothèse, bien séduisante par sa simplicité, qu’avait émise le célèbre explorateur des mers antarctiques.


II

Pour la plupart de ceux qui ont vu l’Océan, le souvenir du grand spectacle qu’ils ont contemplé se confond dans leur mémoire avec le murmure lointain des vagues qui se pourchassent et se brisent. Ils se rappellent surtout le mouvement incessant des eaux, qui au large bouillonnent en un désordre apparent, puis se redressent et s’alignent peu à peu en approchant des rives, et, recourbant leurs puissantes volutes, s’écroulent de tout leur poids pour glisser en longues nappes écumeuses sur les plages unies, ou pour mener et ramener avec un bruit de fer les cailloux entre-choqués des grèves. Dans les parties de l’Océan qui baignent l’Europe occidentale, il est bien rare en effet que la surface marine soit complètement calme. C’est presque uniquement dans la Méditerranée et les autres bassins intérieurs à marées indistinctes que, pendant les beaux jours, la nappe des eaux semble devenue complètement immobile, et que les objets flottans s’y mirent comme dans un lac : alors la mer brille au loin comme une large bande d’argent ou d’acier, des mirages fugitifs apparaissent à l’horizon, « l’eau se regarde, » disent les pêcheurs ; mais ce n’est là qu’un état passager. Bientôt, sous l’impulsion du vent ou sous la pression latérale de lames qu’ont soulevées des tempêtes éloignées, la surface de la mer se hérisse de nouveau, les « mille voix » des flots dont parlent les chants homériques reprennent leur concert immense, les vagues se déroulent régulièrement ou bien se heurtent et s’entre-croisent par suite des variations de l’atmosphère. Même pendant les calmes, les plis soulevés par les vents antérieurs continuent de se développer à travers l’Océan en longues, ondulations. C’est l’un des spectacles les plus grandioses de la mer que ces renflemens de l’onde se succédant en ordre sous un air parfaitement paisible, alors que pas un souffle n’agite les voiles des navires. Hautes, bleues et sans écume, les masses puissantes se suivent à 2 ou 300 mètres d’intervalle, passent en silence sous les embarcations qu’elles soulèvent, et, pourchassées par d’autres ondes, vont se perdre au loin dans l’espace indistinct. On contemple avec admiration et même avec une sorte de terreur ces flots majestueux et tranquilles, remparts mouvans qui semblent devoir tout engloutir sur leur passage et qui dérangent à peine le moindre fétu. Ils présentent surtout une étonnante régularité sous le tropique du Cancer pendant les calmes d’automne, et presque