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inévitable résultat d’égaliser le fond des océans et d’en transformer les abîmes en dépressions doucement inclinées. Ces chaînes de montagnes fantastiques dessinées sous les eaux de la mer par Buache et d’autres géographes ne peuvent donc avoir d’existence réelle, puisque les agens géologiques à l’œuvre dans l’océan diffèrent de ceux qui travaillent sur nos continens à sculpter les plateaux et les montagnes. Des escarpemens pareils à ceux qu’offre en si grand nombre le relief de la surface continentale sont tout à fait exceptionnels en pleine mer : aussi l’amiral Fitz-Roy fut grandement surpris de trouver dans le voisinage des Abrolhos des pentes sous-marines assez rapides pour que la sonde jetée d’un côté du navire indiquât de 8 à 10 mètres de profondeur, tandis que de l’autre côté elle marquait de 30 à 40 mètres. Parfois une cause spéciale explique ces changemens brusques de niveau. Ainsi M. de Villeneuve-Flayosc a constaté que dans le golfe de Cannes une importante source d’eau douce jaillit du fond d’un gouffre dont les parois ont 27 degrés d’inclinaison. En d’autres parages, des courans sous-marins passant avec vitesse sur le fond même de l’océan peuvent empêcher le dépôt des alluvions organiques et maintenir constamment le lit dans sa rugosité primitive : dans la partie la plus creuse de la mer qui sépare la Grande-Bretagne de l’Islande, le docteur Wallich a retiré d’une profondeur de 1,128 mètres un gros fragment de quartz détaché du roc vif et plusieurs morceaux de basalte.

La profondeur moyenne de l’océan a été, comme le relief sous-marin, l’objet des recherches de nombre de mathématiciens et de géographes qui ont essayé jadis de la déterminer en s’appuyant sur des considérations théoriques. Buffon, qui ne cite point l’auteur italien auquel il avait emprunté ses calculs, donnait à tort à l’ensemble des mers une épaisseur d’eau d’un quart de mille, soit de 230 toises (449 mètres). Quant à Laplace, évaluant par erreur l’élévation moyenne des terres à 1,000 mètres, c’est-à-dire à trois fois la hauteur déterminée aujourd’hui d’une manière approximative, il pensait que la couche d’eau marine devait être aussi d’environ 1,000 mètres. Il est inutile de s’arrêter désormais à ces hypothèses, car c’est par l’observation directe, c’est par des sondages répétés que l’on commence à se rendre compte de la véritable profondeur des eaux. Malheureusement les sondes que les marins ont à leur disposition sont encore des instrumens imparfaits, et, plongées dans les profonds abîmes que parcourent des courans et des contre-courans cachés, elles ne peuvent donner de résultats d’une rigoureuse exactitude. Dans les parages où les profondeurs sont de plusieurs centaines ou même de plusieurs milliers de mètres, on ne peut se hasarder à jeter la sonde, si l’atmosphère et les vagues ne