Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/969

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inhabitables, ne sont autre chose qu’un système de veines et de veinules rapportant au grand réservoir océanique les eaux déversées sur le sol par le système artériel des nuages et des pluies. C’est donc aux phénomènes de la vie maritime qu’il faut attribuer l’immense travail géologique des fleuves et le rôle si important qu’ils remplissent dans la flore, la faune et l’histoire de l’humanité. Et les climats, aux variations desquels est soumis tout ce qui vit sur la terre, ne dépendent-ils point des mouvemens océaniques bien plus que de la distribution et du relief des continens ? Les découvertes futures des géologues et des naturalistes nous diront aussi quelle part revient à la mer dans la production et le développement des germes de vie animale et végétale qui ont atteint leur plus grande beauté à la surface des terres émergées.

D’ailleurs l’océan n’est plus aujourd’hui « l’infranchissable abîme, » et l’homme peut l’explorer dans presque toute son étendue. Plus de deux cent mille navires parcourent les eaux entre les rivages des continens et des îles ; plus de deux millions de marins ont fait leur patrie des vagues redoutées, et leur vie presque tout entière se passe loin des côtes, sur de frêles embarcations que balance le flot, que secoue la tempête. Les traversées maritimes deviennent de plus en plus fréquentes, et c’est maintenant par centaines de mille que l’on compte le nombre des voyageurs qui se déplacent chaque année de l’un à l’autre bord de l’Atlantique. Les rivages de la mer se peuplent rapidement, les grands travaux hydrauliques se multiplient, on abat des collines pour les jeter en brise-lames à l’entrée des baies de refuge, on construit des digues en pleine mer pour faire des ports artificiels, on transforme en campagnes parsemées de villages de vastes estuaires dont le fond garde encore les débris de bien des navires naufragés. L’homme se hasarde même à prendre possession du lit de l’océan, puisqu’il y déroule les fils qui dans l’espace de quelques instans portent sa pensée d’un monde à l’autre. Ces grands travaux et tous ceux que l’on prépare rattachent de plus en plus le gouffre immense de la mer au domaine de l’humanité. Que serait-ce donc si chaque navire devenait un observatoire flottant, ainsi que le demandait l’illustre Américain Maury, cet homme qui fut si grand lorsqu’il était servi dans ses tentatives par la puissante république dont il a cessé d’être le citoyen ? Dès que cette pensée aura reçu une exécution générale, dès que les milliers d’observations recueillies chaque jour en mer seront classées régulièrement, la surface de l’océan sera beaucoup mieux connue que ne l’est celle des terres elles-mêmes, et l’on pourra déterminer rigoureusement les lois qui président à tous les mouvemens des eaux marines. Déjà, grâce à l’initiative de Maury et aux