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médailles d’or et d’argent qui est tombée comme une manne sur deux cent soixante-quinze vignerons ou prétendus tels. C’est un miracle à mettre à côté de celui des noces de Cana.

Toute grandeur s’expie, et l’exposition de 1867 n’échappera pas à cette loi : son châtiment sera d’avoir rendu impossible les expositions futures, à moins qu’elles ne se résignent à déchoir. Vainement cherche-t-on par où l’on pourrait renchérir sur les scènes dont nous sommes témoins. La part de l’agrément ? elle est ample déjà, et on ne pourrait guère la pousser plus loin sans scandale ; la part des constructions accessoires ? qu’on demande à ceux qui ont fait les frais de celles-ci, s’ils seraient d’humeur à recommencer ; le nombre des exposans, la masse des produits ? mais l’encombrement est déjà exagéré, et on a calculé qu’à trois minutes par exposant il faudrait plus d’une année pour tout voir ; la pompe des fêtes ? la présence des souverains ? mais la série des fêtes données est déjà satisfaisante, sans compter celles qu’on nous réserve, et quant aux souverains il ne nous aura guère manqué que l’empereur de Chine, qui est trop sédentaire, et le président des États-Unis, qui est trop viager ; les autres auront été représentés ou seront venus en personne. Tout laisse donc croire que nous aurons joui d’un exemplaire unique dont nos neveux ne verront pas l’équivalent, sous cette forme du moins : les difficultés de dépense, d’espace, d’installations, ne seront pas vaincues deux fois. Mettons dès lors à profit les jours de grâce qui nous restent. Maintenant, pourquoi s’en cacher ? ce qui frappe le plus dans ce spectacle, c’est moins encore le témoignage de la puissance de l’homme que la profusion des inutilités dont il s’est fait un besoin. Lorsque dans le cours de toute une journée on a arpenté en long et en large ce vaste palais, poussé des reconnaissances dans ses plus riches galeries, qu’on s’est promené d’éblouissement en éblouissement, et qu’on s’en revient le soir avec beaucoup de fatigue dans les membres et un peu d’humeur dans l’esprit, on est plus d’une fois tenté de s’écrier comme ce sauvage à qui l’on montrait les merveilles de nos arts : Que de choses dont je puis me passer !


Louis REYBAUD.