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s’accoutumer à l’idée que, l’aisance aidant, le prix de 3 fr. le kilogramme ne passera plus pour une prétention exorbitante. S’il en est ainsi, le calcul le plus élémentaire démontrerait que sacrifier la laine à la viande est tout bénéfice pour l’éleveur : avec la laine, à peine couvre-t-on ses frais ; avec la viande, la marge est déjà belle et devient chaque jour plus engageante. Ce changement, il est vrai, ne se réalisera point d’un coup de baguette : on ne refait pas une race en un jour, il faut pour cela de l’argent, de la patience, presque du génie ; mais, petit ou grand, aucun obstacle ne tiendrait devant les nécessités de l’alimentation, si elles devenaient plus impérieuses.

Dans tous les cas, l’industrie des lainages, n’en serait point ébranlée ; c’est une de nos industries les plus vaillantes. Elle n’a jamais éprouvé, au nom seul du produit étranger, ces peurs et ces colères qui troublaient les autres jusqu’au vertige. Familiarisée avec les marchés du dehors, elle s’y était aguerrie dans un combat à égalité d’armes où toutes les nations avaient leurs représentans. La part qu’elle s’y était ménagée était des plus avantageuses. Ou elle avait évincé tous ses concurrens, comme pour les tissus de mérinos, ou elle était du moins entrée en partage avec eux, comme pour les draperies légères et les étoiles de nouveauté. Dans ce mouvement extérieur, point de temps d’arrêt ni d’échecs, si ce n’est ceux que nous infligeaient des tarifs hostiles ou des événemens politiques. En des temps et par des traitemens réguliers, toute prise de possession a été définitive, et il est peu d’exemples d’un débouché où notre industrie, une fois introduite, n’ait été en s’affermissant.

Une autre épreuve, plus décisive encore, ne l’a pas trouvée moins résolue : c’est celle des traités de commerce, dont on a déjà pu suivre les effets sur les autres tissus. Il y avait là une cause très naturelle d’émotions et un champ ouvert aux conjectures. Tout ne se bornait pas, pour les hommes prévoyans, à la question de savoir si, au fond, nous étions à même de soutenir le choc de ces entreprenans voisins à qui nous ouvrions délibérément nos portes. Un autre souci devait s’y mêler. A l’état réel des forces engagées et aux chances qui en découlaient s’ajoutaient, comme menace, les surprises et les caprices de l’opinion. Le passé là-dessus n’était pas rassurant. Ces préférences de la première heure avaient contribué pour une bonne part au préjudice causé à nos industries par le traité de commerce de 1786, signé par M. de Vergennes, Il devint alors de bon ton de mettre en crédit les produits anglais et d’aggraver ainsi la situation de nos produits, qui n’auraient jamais eu autant besoin d’être soutenus. Dans les mêmes circonstances, la faute, en 1861, aurait pu être renouvelée. Il eût suffi pour cela