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et encore plus de santé. » Tel était son programme. Que Mme  d’Azado se porte bien, cela n’est pas douteux ; mais qu’elle ait beaucoup de principes... Où les aurait-elle pris ? Quand on est la fille de Mme  Bréhanne... Je crois la connaître, son cœur la gouverne, sa conscience sera celle de l’homme qu’elle aimera, elle ne verra que par ses yeux, et, pour elle, le bien sera ce qu’il approuvera, le mal ce qu’il condamnera. En attendant, elle n’a que des goûts et des dégoûts... De quoi donc s’avisait mon père de demander aux femmes des principes ? Qu’en feraient-elles ? Il n’avait pas lu La Bruyère. « La plupart des femmes, a-t-il dit, n’ont guère de principes, elles se conduisent par le cœur et dépendent, pour les mœurs, les opinions, de celui qu’elles aiment. » Les femmes n’ont été inventées que pour tromper nos ennuis ; leur sourire est un ravissant mensonge, la promesse de félicités impossibles, et le prix appartient de droit à celle qui ment le mieux. Bien fou qui les prend au sérieux !... Ces roseaux percent la main qui s’y appuie. Plus avisé l’homme qui cherche auprès d’elles quelques instans d’ivresse et de délire. Plus sage encore celui qui se contente de respirer en passant leur beauté, comme on respire le parfum d’une fleur !

« Mais je ne suis pas toujours sensible à la beauté. Il m’ arrive souvent de ne pouvoir plus me prêter à l’illusion, d’apercevoir distinctement la carcasse du feu d’artifice... »

VI.

Un matin, comme Didier était à sa fenêtre, il aperçut à la lisière d’un bois d’oliviers M. Patru, Mme  Bréhanne et sa fille, qui, montés sur des mulets, se dirigeaient vers le château de l’Aiguille. Il fit un geste d’humeur, mais il ne laissa pas de renouer sa cravate, qui s’était défaite, et de se porter à la rencontre de la petite cavalcade. — Vient-on prendre possession, pensait-il, ou simplement dresser l’inventaire ?

— Je vous amène bonne compagnie, lui cria de loin M. Patru. Depuis longtemps ces dames étaient curieuses de visiter votre ermitage ; mais elles se faisaient scrupule de venir relancer le lièvre au gîte. J’ai rassuré leur conscience. Vite, faites tordre le cou à deux de vos canards ; fussent-ils un peu durs, il n’est chère que d’appétit, et l’air du Guard creuse l’estomac.

Par malheur, ce jour-Là Didier avait la migraine ou du moins ce qu’il appelait de ce nom, car ses migraines à lui étaient d’une espèce particulière ; elles consistaient dans un accès de timidité et de sauvagerie renforcées. Assurément il n’était pas timide à la façon