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II

Le coton a eu, comme la soie, sa période de crise, dont quelques effets persistent encore ; de 1860 à 1865, il a traversé un régime de disette. Jamais calamité pareille n’avait frappé une industrie ; il s’agissait d’une valeur qui dépasse 2 milliards de francs et du sort d’un million d’ouvriers. Le plus grand marché d’approvisionnement, l’Amérique du Nord, venait d’être brusquement fermé, et la denrée était emportée par un mouvement de hausse à causer des vertiges. Qui ne se souvient des émotions et des soucis nés de ces événemens ? De tous côtés les métiers cessaient de battre, un instant on put craindre que pas un établissement ne survécût à cette épreuve. Le salut est venu d’un approvisionnement auxiliaire suscité à temps et entretenu par des moyens ingénieux. Il est venu aussi, ce qui ne semblait pas probable, du renchérissement même. Ce renchérissement délivrait l’industrie du coton de son embarras le plus fréquent, l’engorgement des produits, et la rendait maîtresse du débouché, cas assez rare ; au lieu de subir la loi, elle la dictait. A la hausse tout le monde gagne, et ici quelle hausse ! Le prix de l’article porté de 1 à 8 et maintenu pendant quatre ans à cette exorbitante plus-value. Ce n’était plus dès lors ni de l’industrie ni du commerce, c’était une spéculation qui a souvent pris un caractère d’emportement. Peu de fabricans on su garder leur sang-froid ; le plus grand nombre a trouvé dans les bénéfices du jeu d’amples compensations à la réduction du travail. Moins il y avait de cotons dans les entrepôts, plus il s’échangeait à la bourse de cotons imaginaires. Aussi la liquidation qui depuis trois ans se poursuit est-elle des plus pénibles. On est à la baisse aujourd’hui, et à la baisse il n’y a que de la perte pour les détenteurs sérieux. Il en est qui se sont chargés plus que ne comportaient leurs forces : de là des sinistres. D’un autre côté, l’Amérique du Nord reparaît sur les marchés d’Europe avec des quantités qui chaque jour grandissent et des qualités qui souffrent peu de comparaisons. C’est un premier trouble jeté dans cette industrie, et qui ne semble pas de nature à cesser promptement.

Il y en a un second : à la même date où commençait le blocus des ports américains, nos ports de France se sont ouverts, moyennant des droits modérés, à l’introduction des marchandises anglaises. Les traités de commerce en vigueur datent de 1860 et de 1861. Le premier mouvement de nos industries fut, on s’en souvient, d’en prendre l’alarme, et, plus qu’une autre, l’industrie du coton se crut condamnée. Sur combien de points ne se disait-elle