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ferait ailleurs des choses vulgaires, naturellement et sans avoir la conscience de leur supériorité.

Avec de tels hommes, le plagiat ne serait donc pas à craindre, s’il n’avait à son service des procédés perfectionnés, c’est-à-dire la, vapeur et son organisme précis. L’Angleterre en effet l’a largement appliquée au tissage de la soie ; tous ses nouveaux ateliers marchent mécaniquement, et on y fabrique, des articles assez délicats, comme les brocatelles, les velours, les damas, les tissus pour robes, pour meubles, pour cravates. Entre cette exécution et l’exécution à la main, au degré où les Anglais l’avaient conduite, la distance n’est pas sensible. Ce qui manque à ces étoffes, c’est un je ne sais quoi plus aisé à sentir qu’à définir, c’est la manière, c’est le goût, le choix des dessins, l’harmonie des couleurs, la disposition générale. La même cause nous protège du côté de la Prusse, où, comme en Angleterre, la vapeur s’est emparée de quelques soieries. Elberfeld, Crefeld et Viersen sont les trois principaux sièges de ce travail, Elberfeld pour les grandes étoffes, Crefeld et Viersen pour les pièces et rubans de velours. À étudier ces produits, on en vient à comprendre comment, si loin des marchés de la matière première, une industrie peut vivre et prospérer par les façons particulières dont elle a le secret. Ce qui distingue le génie allemand, c’est moins l’originalité que le don de l’imitation et une sorte d’archaïsme appliqué aux arts comme à la science. Autant nous aimons à imposer nos goûts, autant les Allemands subordonnent volontiers le leur aux coutumes, aux traditions de leur clientèle. À Elberfeld, c’est au service des colonies espagnoles que se sont mis cet esprit de calcul et cette aptitude de la main ; les robes, les mantilles qui sont sur les métiers reproduisent des modes américaines. À Crefeld et à Viersen, les cartes d’échantillons se composent d’emprunts faits au Tyrol, aux échelles du Levant, aux pays barbaresques. C’est vers ces contrées que se dirige une partie des velours fabriqués dans les deux villes allemandes. Le mérite des produits est dans la fidélité de reproduction des types originaux ; les ouvriers n’y ajoutent et n’en retranchent rien. Même en face du marché de Paris, ce procédé a réussi pour les galons et rubans employés en bordure. Le crédit de Viersen et de Crefeld était naguère si bien établi sur ces articles, que Saint-Étienne et Lyon en ont éprouvé pendant plusieurs années un préjudice réel. Il a fallu un vigoureux effort pour ramener la faveur de notre côté, et la partie n’est qu’à demi gagnée.

De la part de la Suisse, les envahissemens sont également possibles. La Suisse a, comme l’Angleterre, les procédés mécaniques, comme l’Allemagne, le débouché lointain ; elle a de plus chez elle la vie à bon marché dans la plus sérieuse acception du mot. Sa