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il tient à maintenir intact le dépôt des franchises nationales. Ce n’est point lui qui s’effraie des progrès de l’éducation, car l’expérience lui a démontré que les ennemis les plus dangereux pour le repos d’un état libre étaient les classes ignorantes. Il ne regarde donc point à la dépense quand il s’agit de fonder des écoles, espérant ainsi rattacher dans les campagnes l’esprit de la jeunesse la Bible et à l’idée qu’il se fait de la constitution anglaise. A l’entendre, ce qui l’inquiète dans les progrès de la démocratie, c’est l’ombre des dangers que court la liberté. Sur le continent, le conservateur anglais passerait à coup sûr pour un révolutionnaire. Ce n’est point à lui qu’il faudrait demander des armes contre la presse ou contre le droit de réunion. On serait encore bien plus mal venu à lui parler des avantages du gouvernement personnel, car, s’il tient beaucoup à défendre ses privilèges d’ancien breton, pour rien au monde il ne voudrait les mettre sous la protection d’un autre. Fier de la considération dont il jouit dans sa localité, il demande non aux favoris de la couronne, mais à ses propres services l’estime et la confiance de ses concitoyens. Les fonctions gratuites qu’il remplit dans son comté ne dépendent aucunement de l’état ni du ministère et n’engagent par conséquent en rien sa conscience. Quoique le fonds de ses principes soit aristocratique, ses manières simples et familières visent très souvent à la popularité. En rapport journalier avec toutes les classes de la population qu’il cherche à se rattacher par le lien des sympathies et des intérêts, il ne domine qu’à la condition d’être utile. Grâce au régime électif et au self-government local, qu’il tient plus que tout autre à conserver, n’a-t-il point autant besoin de ses commettans que ses commettans ont besoin de lui ? Aussi ne néglige-t-il aucun de leurs griefs. Après tout, le conservateur éclairé ne diffère du libéral que par une certaine défiance envers le progrès. A ses yeux, la vieille constitution anglaise est aussi parfaite que l’œuvre des six jours, et il n’y a guère qu’à se reposer dans les avantages qu’elle procure, C’est avec une sorte de terreur qu’il voit s’avancer dans le pays le gouvernement des masses. Toutefois, quand l’occasion l’exige, il fait aux chefs du parti le sacrifice de ses répugnances, car il sait bien qu’ils cèdent eux-mêmes à un esprit de sagesse, et que le moyen de résister à la tempête est souvent d’abaisser les voiles.

Une influence qu’on ne déracinera point aisément dans les campagnes anglaises est celle de la fortune. Depuis la fin du dernier siècle, le nombre des propriétaires fonciers s’est beaucoup réduit dans toute la Grande-Bretagne. Le monopole de la terre, en se rétrécissant et en se concentrant entre les mains d’un petit nombre, tend, il y a lieu de le craindre, à mettre les classes agricoles dans