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M. DE BARANTE


Le 26 novembre dernier, un long cortége, fonctionnaires publics et simples citoyens, riches et pauvres, bourgeois, paysans et ouvriers, famille, parens et amis venus de loin, plus de huit mille personnes, suivaient silencieusement, pendant un long chemin, par un temps froid et sombre, un cercueil transporté du château à l’église du village. Un même sentiment régnait dans cette foule ; le respect, l’affection, la reconnaissance, le regret, étaient empreints sur tous les visages et animaient toutes les paroles officielles ou spontanées, éloquentes ou simples, pieuses ou purement humaines, prononcées au bord de cette tombe. Tous rendaient avec émotion un sérieux et sincère hommage au mort, qu’ils connaissaient bien et qu’ils avaient longtemps vu vivre au milieu d’eux.

Était-ce un homme naguère puissant, revêtu de hautes fonctions, et de qui, jusqu’à son dernier jour, ses parens, ses amis, toute cette population qui le suivait à sa dernière demeure, avaient eu beaucoup à demander et à attendre ?

Nullement : depuis près de vingt ans, ce mort avait vécu dans la retraite, en dehors de toute fonction, de tout pouvoir, sans autres moyens d’influence que ses mérites personnels et ses vertus privées, ses souvenirs, ses travaux littéraires et sa bonté.

Était-ce un homme qui recherchât soigneusement la faveur publique, qui fit du bruit dans les rangs d’une opposition populaire, qui attirât les regards en flattant les esprits et s’inquiétât de plaire à la foule des spectateurs ?

Pas davantage : ces hommages publics, ces témoignages populaires s’adressaient à un homme qui n’avait jamais adopté que les