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simplicité. Les grands sentimens qui sont les assises les plus profondes de la vie morale, la maternité et l’amour filial, la naissance et la mort, le dévouement et la trahison, le péché et le châtiment, la foi à l’immortalité, les préoccupations sévères qui obsèdent la pensée humaine, les illusions dont elle vit, trouvent dans la peinture religieuse une expression éclatante de lumière. L’autorité que l’art chrétien a exercée sur les âmes vient de là, non de la théologie raffinée à laquelle les événemens de l’histoire sacrée ont servi de canevas. Qu’est-ce donc si l’on demande au pinceau des interprétations subtiles et nouvelles ? Qu’est-ce surtout si ces interprétations sont empruntées à des systèmes qui font du bruit aujourd’hui et qui demain ne retentiront que dans l’école ?

Il est certain que Cornélius, avec le concours de quelques autres, a donné une salutaire secousse, dont la peinture se ressent encore aujourd’hui. A-t-il ouvert une ère nouvelle, conquis à l’art un nouveau champ, fondé l’idéalisme sur une base solide ? Les talens d’ordre et de tempérament divers qu’il avait groupés autour de lui sont disparus ou dispersés ; leur gloire, comme leur enthousiasme, n’a eu qu’une saison, et ce printemps a été court. De ses compagnons les plus fidèles, de ceux dont le château royal et l’Église de tous les Saints à Munich renferment les estimables travaux, l’un, M. Henri Hess, est mort il y a quelques années ; l’autre, M. Schnorr, vient d’être nommé membre correspondant de l’académie. Un petit nombre de peintres, comme M. Charles Rahl, enlevé à l’art dans la fleur de son talent, comme M. Schwind, qui prépare des peintures pour l’Opéra de Vienne, comme M. Ferdinand Wagner, auteur de fresques distinguées qu’on voit à Augsbourg, peuvent se rattacher à Cornélius. Toutefois la vitalité, l’influence véritable n’est pas là. Les principes de Cornélius étaient trop exclusifs, et ces principes, le maître, dans l’emportement de sa fougue, les a poussés d’abord à leurs conséquences extrêmes ; le dédain de la forme et la négligence de l’exécution ont précipité et achevé le naufrage. Comme il arrive toujours après les grandes déceptions, une réaction, d’ailleurs favorisée par des circonstances de tout genre, s’est produite. Le naturalisme est rentré dans l’art comme partout, et si l’on entend par là l’observation directe des formes réelles et l’exactitude historique, il a désormais à côté de l’idéalisme une place qu’on ne peut lui contester. C’est un mouvement dont il est plus facile de noter la direction que de prévoir le terme ; mais dès à présent il ne s’attache plus à Cornélius que le souvenir d’une grande espérance trompée et d’une individualité solitaire dont les œuvres étonneront sans plaire et n’ont point créé un avenir.


P. CHALLEMEL-LACOUR.