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n’est pas borné seulement par les moyens dont elle dispose, qu’il est encore plus ou moins circonscrit selon les temps, selon l’état des idées et des croyances, selon le degré de culture générale. Il peut être permis à un Allemand du XVIe siècle ou à un Espagnol du XVIIe de réunir dans la même composition les scènes mystiques de la nativité et le portrait des donataires avec le costume contemporain, ils peuvent agenouiller au pied du trône de la Vierge leurs protecteurs ou leurs amis ; ce sont là des libertés interdites à un peintre de notre temps. L’Attente du jugement dernier présente une infraction malheureuse à cette vérité. Voir des uniformes et des habits de cour, toute cette livrée de la vanité et de la servilité humaines, figurer pompeusement dans la scène qui doit anéantir toutes les royautés avec tous les globes et restaurer triomphalement entre les hommes l’égalité de leur commun néant, c’est à quoi, avec toute la bonne volonté du monde, nous ne saurions nous prêter. Ajoutons que c’est étrangement rabaisser la grandeur de la catastrophe universelle que de n’y montrer comme directement intéressée qu’une seule famille, fût-ce la famille des Hohenzollern. On ne s’étonnera pas d’une pareille erreur dans l’œuvre d’un vieillard ; on aurait lieu de s’étonner davantage que cette œuvre témoigne encore d’une intelligence si robuste, et que l’artiste ait su renouveler par le sentiment un sujet si analogue à celui qu’il avait traité dans le Jugement dernier de l’église Saint-Louis. On dirait que la pensée du peintre s’est adoucie avec les années, et qu’enrichi par l’âge de tendresse en même temps que d’expérience il ne veut plus, en dépit des rigueurs de l’orthodoxie, montrer dans le jugement dernier que l’espoir assuré du salut de tous.

Si Cornélius n’occupe pas une des premières places dans le panthéon de l’art, il a sa place marquée, à côté de Thorwaldsen et de Schinkel, dans l’histoire de l’idéalisme au XIXe siècle. Il signale dans la peinture ce moment où elle a voulu renouer la tradition interrompue de l’art allemand. Cornélius a fait, après A. Carstens, un vigoureux effort pour arracher l’école à la voie banale où elle se traînait sur les pas des improvisateurs comme Joachim de Sandrard et Martin Knoller, des imitateurs éclectiques et des maniéristes comme Dietrich ou Raphaël Mengs. Son titre sera d’avoir eu l’ambition de mettre l’art en harmonie avec la pensée moderne, et l’on admirera que cette entreprise ait été le fait d’un catholique. il l’a tentée, il est vrai, comme il pouvait le faire, sans se départir de la tradition, mais en retrempant celle-ci dans un autre esprit. Il faut bien convenir qu’en dehors des sujets les plus familiers de l’histoire religieuse il n’en est pas, même à cette heure, qui parlent à la foule un langage universellement intelligible ; mais, qu’on ne s’y trompe point, leur puissance consiste dans leur