Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/888

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

touché plus encore qu’il ne l’imagine. Il fait la foi plus savante qu’elle n’est, il porte dans les doctrines une suite et un enchaînement qui n’y sont point. Il en use avec le dogme chrétien comme les alexandrins avec la mythologie grecque, en y déposant toute sorte de théories raffinées ; mais, contraste vraiment bizarre, il rejette le naturalisme par lequel les peintres de la renaissance humanisaient la religion, et remonte aux formes enfantines des maîtres primitifs. La Nativité présente dans l’ordonnancé une symétrie tout à fait archaïque : au centre de la composition, sous une petite construction de proportions très, réduites, qui ressemble plus à un trône qu’à une étable, siège la reine des cieux, l’étoile messagère au-dessus du front, tandis que des deux côtés arrivent aux pieds de l’enfant-dieu les mages suivis de leur armée, les bergers avec leurs instrumens rustiques et leurs présens. Cette symétrie se reproduit dans la partie supérieure de la fresque qui représente Dieu le père entouré des chœurs des anges, et on la retrouve aussi dans le Crucifiement. Jamais peintre des vieilles écoles de la Flandre ou de l’Ombrie ne s’est joué plus insoucieusement de la vraisemblance. L’artiste est allé jusqu’à réaliser par un symbolisme quelquefois brutal des faits restés à l’état d’idées dans la tradition. Au-dessus du bon larron plane l’ange sauveur qui vient le consoler et le recueillir, tandis qu’un diable grimpe sur les épaules du mauvais larron, un diable à qui rien ne manque des attributs de son état, ailes de chauve-souris, queue formidable, griffes et cornes. A qui avons-nous affaire ici ? Le peintre qui compte assez sur sa foi et sur la nôtre pour ne pas craindre de mêler au pathétique de la grande tragédie ces bouffonneries de l’enfer est-il quelque fils des cloîtres, étranger au persiflage et aux ironies de la critique, un croyant qui abrite dans son cœur autant de terreur du diable que de confiance en Dieu ? Loin de là, Cornélius est un esprit subtil qui excelle, on ne peut le nier, à découvrir une signification spécieuse aux fictions les plus bizarres. Dans le Jugement dernier, il a dû, comme tous les peintres qui ont traité ce sujet, accepter la fantasmagorie alexandrine et dantesque, suivre les données du dogme et se plier à une ordonnance à jamais fixée par Michel-Ange, et dont les lignes essentielles se rencontreraient déjà dans les peintures d’Orvieto et de Pise. Si donc Cornélius a renouvelé le vieux thème, c’est en l’interprétant à sa manière, et en effet ce prélude d’une éternité de supplices et de joies, qui est le scandale de la philanthropie moderne, prend ici un sens presque acceptable. Il est facile d’y voir la simple image de la réparation constante qui s’accomplit à toute heure dans le monde et qui est la sanction des lois morales. Pour Michel-Ange, le jugement dernier avait une date ; c’était le