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travail de géant eût été la réalisation d’une pensée unique, jaillissant directement de l’esprit en présence de la mort, j’entends de l’esprit pénétré des croyances chrétiennes et des souvenirs de la tradition religieuse. Aussi la simple esquisse de ce poème d’épouvante et d’espérance en même temps, où l’enchaînement idéal des différentes parties était aussi surprenant que la profondeur symbolique des détails, frappa tout d’abord par sa grandeur les esprits réfléchis. Le gouvernement récompensa l’artiste en lui faisant bâtir aux frais de l’état une maison et un atelier, premier témoignage d’un retour de justice que ne put cependant rendre complet l’apparition, en 1846, du carton des Cavaliers de l’Apocalypse, apporté à Paris en 1855, et qui auparavant avait été exposé à Rome, à Berlin, à Gand, à Vienne, avec un succès inégal.

Cornélius put se flatter un moment que les promesses qui l’avaient attiré à Berlin seraient enfin tenues. Triomphante en Prusse comme partout, la réaction, dans sa première ivresse, s’avisa de vouloir reprendre les pieux desseins de Frédéric-Guillaume. On parla de construire le fameux dôme, et l’on confia sans retard à Cornélius le soin d’en décorer l’abside d’une grande fresque. La surface à couvrir était deux fois et demie aussi grande que celle du Jugement dernier de l’église Saint-Louis à Munich, travail prodigieux dont les dimensions mêmes eussent détruit l’effet, puisqu’il eût été absolument impossible de l’embrasser d’un coup d’œil. Loin d’effrayer Cornélius, déjà septuagénaire, l’entreprise sourit à son imagination, éprise du colossal, et il se mit aussitôt à l’œuvre. Au bout de deux ans, les études préparatoires étaient finies, et en 1856 arrivait de Rome à Berlin un carton colorié de 5 pieds de large et de 4 pieds et demi de haut, aujourd’hui propriété de l’état, qui l’a fait exposer dans l’atelier du peintre. Le carton représente l’Attente du jugement dernier, un sujet que je ne sache pas avoir été traité par personne avant Cornélius. Si nous nous plaçons au point de vue de l’orthodoxie, ce que cette donnée suggère d’abord à l’esprit est l’idée de l’angoisse universelle qui doit précéder la fin des choses, d’une disposition pareille à celle qu’on dit avoir régné aux approches de l’an 1000, traduite en actions visibles. Cornélius a conçu autrement le sujet ; dans son carton, ce n’est guère qu’une variante du jugement dernier : en haut, le Christ avec son cortège habituel et à ses pieds les rois ses vassaux, qui viennent lui faire hommage de leur couronne ; au-dessous, les anges du jugement qui attendent le signal pour sonner l’heure des grandes assises ; dans la partie inférieure, un autel sur les degrés duquel on voit le roi Frédéric-Guillaume d’un côté, la reine Elisabeth de l’autre, tous deux agenouillés, en grand costume et entourés de généraux en uniforme, de