Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/875

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représentant la descente de Jésus aux enfers, et ce fut là l’écueil de sa réputation. Il faut le dire, le peintre n’avait rien fait pour s’acclimater à Berlin ; soit sauvagerie naturelle, soit fierté, il ne s’était point mêlé au monde des artistes, des gens en place, des critiques en crédit ; il vivait à part, et au sein d’une société compassée, dominée par l’étiquette, il avait gardé la liberté et la facilité bourgeoise des mœurs rhénanes : les philistins ouvraient de grands yeux en voyant l’illustre Cornélius aller tous les jours comme un simple mortel à la brasserie du Ciel-Bleu. Aux yeux de juges que tout cela disposait peu à l’indulgence, l’étrangeté d’un sujet peu familier à l’esprit et plus choquant encore dans un centre protestant qu’il ne l’eût été ailleurs, la crudité de l’exécution et la visible maladresse d’une main accoutumée à manier la brosse du peintre à fresque parurent des défauts décisifs, et le tableau fut apprécié en termes dont un reste de respect tempérait à peine la dureté. Dès lors se produisit entre Cornélius et le public de Berlin un éloignement qui a condamné l’artiste pendant quinze ans à une espèce d’obscurité. Il n’en est sorti qu’en 1859, lors de l’exposition de ses cartons, organisée par Hermann Grimm et A. de Humboldt.

On sait à quelle occasion ces cartons furent exécutés. Dans le caractère de Frédéric- Guillaume IV s’entre-croisaient un patriotisme nourri d’utopies et toute sorte de fantaisies dévotes. Il avait conçu la pensée de faire de Berlin une Rome protestante et pour cela d’y ériger une église qui fût le symbole, la forteresse et comme le Saint-Pierre de la réforme germanique. Cette cathédrale, dont le plan fut donné par l’architecte Stuler, devait s’étendre en largeur le long du jardin public sur lequel s’élèvent déjà le palais du roi dans le genre de la renaissance et l’ancien musée avec sa façade grecque, ce qui eût formé un rapprochement assez laid de différens styles[1]. A l’église on voulait rattacher un édifice destiné à renfermer les tombeaux des rois de Prusse et précédé d’un atrium ou plutôt d’un cloître quadrangulaire formant galerie avec une cour au milieu. Cornélius devait décorer de fresques cette galerie, dont les murs ne tardèrent pas à sortir de terre ; malheureusement, à la suite du brusque retour d’idées amené par la révolution de 1848, l’opinion, disposée à accueillir toutes les rumeurs, prit l’alarme et se souleva contre la construction d’un temple dont les dimensions colossales nécessitaient un luxe de décoration, inconnu au protestantisme et des splendeurs menaçantes pour l’esprit austère de la réformé. Il fallut abandonner le projet du dôme et des caveaux

  1. L’église devait d’abord être une basilique ; on avait ensuite songé à une coupole haute de 400 pieds. Dans les deux plans, l’abside ne devait pas avoir moins de 30 mètres d’élévation.