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superstition d’artiste, Rome et l’Italie, par les chefs-d’œuvre qui s’y trouvent rassemblés comme par la tradition qui s’y perpétue par l’air qu’on y respire, manquent rarement de développer dans quiconque en a reçu le germe l’amour et le sentiment de la beauté plastique ; on dirait que les splendeurs que la nature et le génie humain ont accumulées sur cette terre bénie y entretiennent comme un reste bienfaisant de paganisme qui épanouit le talent sous les rayons de tant de chefs-d’œuvre. Ce n’est pourtant pas en ce sens que le séjour d’Italie paraît avoir profité à Cornélius. Malgré l’étude passionnée des anciens maîtres et la pratique assidue par laquelle il sut se rompre à l’imitation des styles les plus différens, il a gardé intacte cette rude originalité germanique et, qu’on nous passe le mot, cette barbarie d’homme du nord qui se fait jour dans ses premiers essais. Non-seulement il continue le Faust à Rome, mais, comme si le vieux levain allemand eût fermenté en lui avec plus de violence, il cherche ce qu’il y a de plus inculte et de plus sauvage dans la littérature de son pays pour s’en inspirer. Il s’adresse au poème des Nibelungen, récemment retrouvé, et il y consacre huit dessins, où les fureurs du crayon, l’énergie farouche des expressions, la complication des idées, atteignent, autant que le permet le tempérament civilisé du XIXe siècle, la puissance, je dirais presque l’atrocité de la vieille épopée barbare. Dans ces dessins, parfois superbes de fougue et d’invention, on chercherait vainement la trace de l’influence antique, quelque chose de la sérénité des marbres du Vatican, de l’harmonieuse beauté des formes que les plus grands peintres italiens avaient poursuivie, quelque chose enfin qui rappelle ces joies des yeux que les artistes de la renaissance se plaisaient à étaler. Il est évident que l’artiste allemand est dominé par un autre souci que la recherche de la beauté.

S’il reçut à Rome quelque révélation, c’est en présence des fresques grandioses du Vatican. La peinture lui apparut alors comme une langue faite pour parler aux foules, comme le commentaire naturel de la pierre, et il rêva la gloire de la ramener à sa destinée monumentale, de lui rendre un caractère en harmonie avec sa haute dignité et des proportions sous lesquelles elle fût capable d’exprimer des pensées vraiment nationales. L’ambition peut paraître excessive et irréfléchie ; elle est d’accord avec les dispositions fondamentales de l’esprit de Cornélius, amoureux surtout du grand et du compliqué. Si le style est la condition première de la fresque, et si par le style on peut entendre, non pas la beauté et la majesté des lignes, mais la dignité de la conception qui arrache la pensée aux vulgarités de l’expérience et de la réalité, toutes les compositions de Cornélius, ses tableaux à l’huile, ses dessins et en