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certaine période on a pu constater en plus d’un pays un effort général vers le grand, cette impulsion s’explique sans doute par une situation d’esprit analogue et par des circonstances identiques ; il serait injuste de ne pas reconnaître que Cornélius y a contribué pour sa part. La correspondance d’Hippolyte Flandrin porte la trace de l’admiration respectueuse dont il était pénétré pour l’artiste allemand. En Belgique, MM. Guffëns et Van Schwerts relèvent indubitablement de Cornélius, et il est visible qu’Antoine Wiertz[1] se rattache jusque dans les écarts de son talent à la tendance idéaliste. Une influence si haute et due à de pareilles causes vaut bien l’avantage peu sûr d’avoir fondé une école ; elle donne peut-être à la vie de Cornélius et à l’examen de ses travaux un certain caractère d’intérêt et d’opportunité.


I

Il n’y a nulle raison de révoquer en doute les témoignages d’après lesquels Pierre Cornélius aurait, comme bien d’autres peintres, montré dès l’enfance des dispositions extraordinaires pour l’art qu’il devait cultiver avec un si grand éclat. Cette précocité fut d’ailleurs singulièrement favorisée par les circonstances. Né le 23 septembre 1783 à Dusseldorf, au sein d’une famille catholique, il fût élevé à l’ombre de l’académie, où son père, Aloys Cornélius, cumulait les fonctions d’inspecteur et de professeur[2], et il eut pour ainsi dire, en ouvrant les yeux, le spectacle des chefs-d’œuvre rassemblés dans la célèbre galerie qui dépendait alors de l’académie, et qui fut transférée a Munich en 1805, au moment où la couronne de Bavière se voyait menacée de perdre la ville de Dusseldorf, qui lui avait été donnée par l’empereur. Il paraît que, lorsqu’il pleurait, la vue des plâtres de la salle des antiques avait le pouvoir de l’amuser, et plus d’une fois sa mère dut recourir pendant la nuit à ce moyen pour l’apaiser. Tout jeune son père l’employait dans son atelier à nettoyer sa palette et ses pinceaux. L’enfant apprenait de lui-même à dessiner en copiant des gravures d’après Raphaël, et à dix ans, l’esprit tout rempli des récits de l’histoire sainte, il découpait sur du papier noirci les figures des grands personnages de l’Ancien Testament.

Si jamais vocation parut manifeste, c’est bien celle-là ; elle fut

  1. Voyez, sur Antoine Wiertz, une intéressante étude de M. de Laveleye dans la Revue du 15 décembre 1866.
  2. On peut voir dans l’église des franciscains à Aix-la-Chapelle un tableau de cet artiste, représentant la Stigmatisation de saint François, qui n’est pas sans mérite, et qui dénote en particulier une remarquable habileté de main.