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fois il gravissait quelque cime, d’où il découvrait au midi la longue croupe onduleuse du Ventoux avec ses gazons brûlés par le soleil, qui offrent une teinte blonde semblable à celle du pelage d’un jeune faon. Souvent encore, assis sur une borne, il s’entretenait avec un vieux maraîcher qu’aimait son père ; il le regardait labourer avec la bêche une planche de son jardin, faisait causer le bonhomme, et l’enviait de ce qu’ayant reçu comme lui en cadeau ce fatal jouet qu’on appelle la vie, il avait su découvrir la manière de s’en servir.

L’un des premiers jours de juillet, Didier se rendit chez M. Patru et trouva porte close. Le notaire venait d’être appelé au village de Venterol pour une affaire pressante. Sans trop se plaindre de ce contre-temps, il traversa la ville et alla se promener sur le penchant du mont de Vaux, qui commande Nyons au nord. C’est une belle montagne à la cime boisée et dont les flancs sont rayés d’un éventail de ravines blanchâtres séparées par des vergers d’oliviers. Didier suivit un chemin grimpant et finit par faire une halte dans un bosquet de jeunes pins, près du lit desséché d’un torrent. La rive opposée était garnie de grandes touffes de roseaux d’une éclatante fraîcheur. Il semble que ces grands joncs du midi soient des ruminans comme les chameaux ; ils font au printemps leur provision d’eau, et, leur subsistance assurée, ils se rient des sécheresses de l’été et des infidélités de leur torrent. Au moindre vent qui passe, ils agitent leurs longues quenouilles et chuchotent mystérieusement entre eux ; mais, pour qui sait les écouter, il est clair qu’ils se disent : — Frères, nous avons bu et nous boirons encore.

Au bout de quelques instans, Didier entendit un bruit de pas. Il leva les yeux et aperçut M. Patru, qui, revenant de Venterol, avait pris une traverse. — Mille excuses ! s’écria le notaire. Je viens troubler un délicieux tète-à-tète ; mais qui diable pouvait s’attendre à vous trouver là ?

— Un tête-à-tête ? demanda Didier ; il me semble que je suis seul.

— Seul avec votre paresse, et jamais maîtresse ne fut aimée d’un amour si tendre. Dieu sait quelles douceurs vous lui disiez !

— Vous êtes injuste, monsieur Patru, j’ai écrit ce matin trois lettres de quatre pages chacune.

— Peste !.. Après un pareil effort, une sieste de quatre heures dans un bois de pins est bien nécessaire pour vous refaire un homme... Tenez, tout à l’heure, poursuivit-il, je ne sais par quel hasard je pensais à vous, et je me disais que votre malheur est d’être né trop tard. Il y a quelque trente ans, les rêveurs, les mélancoliques, les inutiles et, pour trancher le mot, les paresseux