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qui ne présente pas les mêmes dangers. Ceux qu’il favorise n’ont pas le droit d’en être fiers ; il ne leur donne aucune force réelle ni aucun prestige, et quand les limites de leur pouvoir sont arrivées, ils rentrent plus facilement dans la masse du peuple, d’où ils ne sont sortis que par un coup de hasard ; mais ce qui fait surtout que le sort est plus démocratique que l’élection, c’est qu’il suppose tous les citoyens sans exception capables de remplir les fonctions publiques. Voilà une prétention étrange ; cependant M. Perrot pense qu’à Athènes elle était justifiée. Il fait remarquer que l’habitude de la vie publique donnait à tous les citoyens la connaissance des affaires. Les plus pauvres et les plus ignorans assistaient aux assemblées et siégeaient dans les tribunaux ; ils y puisaient une expérience politique, une notion générale des lois civiles, qui chez nous sont le privilège des classes riches et éclairées. « Le prolétaire athénien n’était pas, comme l’ouvrier de nos manufactures, absorbé par un labeur opiniâtre, harassant, sans trêve ni relâche, sans loisirs qui permettent au citoyen de se faire quelque idée des grandes questions débattues dans le pays : aidé par l’esclave, auquel il réservait les travaux les plus fatigans, payé par les alliés pendant un demi-siècle pour juger leurs procès, indemnisé par le trésor quand il quittait ses intérêts privés pour veiller sur ceux de l’état, vivant d’ailleurs de peu dans une ville où le commerce faisait affluer toutes les denrées, sous un ciel qui conseille et impose la sobriété, il pouvait, pour peu qu’il eût de la conscience et du bon sens, se tenir au courant de toutes les discussions, suivre les luttes des partis et apprécier leurs prétentions contradictoires, s’initier aux principaux usages constitutionnels et aux règles élémentaires de la procédure. » On voit que non-seulement la démocratie était faite pour le peuple athénien, mais qu’elle avait pris le soin de faire ce peuple pour elle. En l’habituant à s’occuper de ses affaires, elle l’avait rendu capable de les bien diriger. Chez un peuple pareil, quelque caprice qu’on suppose au hasard, il lui était difficile de faire souvent de très mauvais choix.

Ces magistrats, désignés par le sort, ne ressemblaient guère à ceux de Rome, revêtus avec l’imperium d’une sorte d’autorité souveraine et indéfinie, généraux, prêtres et juges à la fois, unissant en eux le prestige du sacerdoce avec les droits du glaive. Ceux d’Athènes étaient de simples délégués sans initiative, sans indépendance, des mandataires d’un pouvoir qu’ils sentaient toujours au-dessus de leur tête. Et pourtant le peuple s’en méfiait encore, et il avait pris contre eux les précautions les plus minutieuses. A Rome, le sénat est un corps conservateur et aristocratique. Les membres qui le composent sont les plus grands personnages de l’état, ceux qui ont occupé les premières magistratures, et, à moins qu’un arrêt des censeurs ne les en expulse, ils y restent toute leur vie. Le sénat d’Athènes est tiré au sort parmi tous les citoyens, et il n’est nommé que pour un an : on ne veut pas lui laisser le temps de