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annoncent déjà la Provence ; de toutes parts d’immenses vergers d’oliviers montent à l’assaut des arêtes rocheuses, les escaladent victorieusement, les couronnent de leurs feuillages argentés, que dominent des forêts de chênes et de pins. Bref c’est une sorte de petite Suisse provençale, où tout semble avoir été ménagé pour étonner à la fois et pour charmer le regard.

Sur la rive gauche de l’Aygues se dressent les monts de Garde-Grosse, qui, arrondis en forme de cirque, couvrent Nyons au midi. Sur le devant règne une large terrasse qui est comme l’entresol de la montagne et qu’on nomme le plateau du Guard. On y grimpe par un chemin en lacets qui serpente entre deux murailles de rochers ; ces roches schisteuses se délitent et dessinent des créneaux sur le ciel. Le sommet de la colline est formé d’une succession de gradins en pente douce, lesquels offrent chacun sa grange entourée de champs, de vergers et de vignes rampantes. Rien de plus riant que ce plateau du Guard. On y respire l’air vif et fortifiant des montagnes, et l’on gagnerait aisément le vertige au bord des précipices qui en défendent les approches du côté de la rivière ; mais c’est une montagne apprivoisée par le doux soleil du midi et qui a dépouillé toute sa sauvagerie primitive. Elle a fait amitié avec l’homme, elle se prête à toutes ses fantaisies, et, pour lui plaire, elle s’est transformée en un jardin où le pin se marie au figuier, le cyprès au pêcher, la fleur d’or du genêt aux boutons rosés des amandiers. Sur le plus élevé des gradins, on trouve un castel, moitié seigneurial, moitié rustique, qui depuis deux siècles, habité ou non, n’a cessé d’appartenir aux Peyrols. Les oliviers montent jusque-là ; mais à leurs formes tortues et rabougries on reconnaît que c’est leur dernier effort, et qu’à cette hauteur la vie ne leur est plus facile. Au-delà s’étendent des champs de blé et d’avoine, bornés par un vaste éboulis que surmonte une muraille de calcaire rougeâtre. Ce castel est appelé dans le pays le château du Guard, et aussi le fort de l’Aiguille à cause d’un rocher qui se trouve près de là et qui porte ce nom, bien qu’il ressemble plutôt à un gigantesque doigt de pierre levé vers le ciel en signe d’invocation ou de menace.

Dès qu’il avait expédié sa tâche de la journée, Didier s’en allait courir. Ou le voyait errer, la tête basse, les mains derrière le dos, le long des sentiers qui sillonnent en tous sens le plateau et que bordent de petits murs en pierres sèches tapissés de cades et de mûriers sauvages. Le plus souvent il allait s’asseoir au sommet d’une gorge gazonnée, ombragée de trembles et de noyers ; un invisible filet d’eau y coulait en silence, mais on devinait sa trace à la fraîcheur des grandes herbes au travers desquelles il passait. D’autre