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une concession large et soudaine à l’opinion populaire. Cette analogie entre les chefs du parti conservateur en 1866 et 1867 ne nous paraît guère fondée. Quand sir Robert Peel renonça aux opinions protectionistes, il avait, peu d’années auparavant, été porté au pouvoir par une majorité imposante dévouée à ces opinions et sortie d’une élection générale. Lord Derby et M. Disraeli, en minorité dans la chambre des communes, ont été forcés d’accepter leurs positions ministérielles parce que le bill de réforme présenté par le gouvernement whig avait échoué, et que M. Gladstone n’avait point réussi à maintenir dans la même action politique les diverses sections du parti libéral. La réforme électorale était d’ailleurs une question ouverte entre les deux partis parlementaires ; elle n’était point le monopole d’une seule opinion.

En 1859, lord Derby et M. Disraeli l’avaient abordée sans succès ; mais on avait remarqué depuis longtemps l’intérêt particulier que M. Disraeli portait à cette question, l’étude de prédilection qu’il en avait faite ; on pouvait deviner depuis longtemps qu’il mettait un grand prix à lier son nom à une nouvelle constitution électorale de l’Angleterre. Ce qui prouve qu’il n’a point manqué aux devoirs de fidélité envers son parti, c’est que la majorité de son parti l’a suivi. L’opinion publique anglaise, dans la généralité, a jugé la conduite de l’habile ministre avec une bienveillance marquée, et s’applaudit du règlement réalisé de la question de réforme. Il est difficile sans doute de prédire l’influence que la loi nouvelle exercera sur la composition de la chambre des communes et la direction de la politique anglaise. On exagère beaucoup l’influence des systèmes électoraux ; la réforme d’une loi d’élection ne peut changer les mœurs, les traditions, les idées générales et le génie d’un peuple. Après 1848 et avant 1852, nous avons vu le suffrage universel, librement appliqué, nous donner des assemblées où la proportion des partis n’était point faussée, et où les opinions envoyaient l’élite de leurs représentans. Il en sera de même pour la chambre des communes de l’application de la nouvelle loi ; dans un pays accoutumé à l’organisation des partis, le household suffrage sera aisément et promptement discipliné. Les partis subiront des transformations commandées par les circonstances : la coalition des whigs et des radicaux se dissoudra peut-être ; les whigs devenant plus conservateurs et les tories plus libéraux, les vieilles démarcations s’effaceront, et de nouvelles associations d’hommes publics pourront se former. À notre époque, au demeurant, les mesures radicales, celles qui frappent les esprits d’une secousse salutaire et qui ébranlent l’imagination des masses tendent à devenir les plus véritablement conservatrices. Ce sera l’honneur de M. Disraeli de n’avoir pas manqué à l’occasion, d’avoir terminé une agitation qui en durant aurait aigri et corrompu l’opinion publique, et d’avoir aidé son pays, par son courage, sa présence d’esprit et son adresse au maniement des hommes, à consommer un progrès politique considérable. e. forcade.