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joues caves, dévoré d’une sorte de fièvre sans nom qu’il attribuait à son dégoût croissant pour ses études, à l’horreur que lui inspirait d’avance l’antre de la chicane. M. de Peyrols fronça le sourcil, haussa les épaules ; toutefois il ne renvoya pas à Paris l’étudiant en rupture de ban. Il se résolut à le garder auprès de lui, et pour l’occuper lui confia la gestion de son domaine. Didier s’acquitta fort bien de sa nouvelle charge, si ce n’est qu’au dire de son père il semait l’argent à pleines mains, faisant remise de leur terme à tous ses fermiers dans l’embarras et se faisant adorer de tous les ouvriers par ses largesses. « Il est heureux, disait M. de Peyrols, que je m’entende à gagner de l’argent, car mon fils paraît avoir un furieux talent pour en dépenser. Passe encore si c’était pour lui ; mais ce garçon est destiné à n’avoir jamais du plaisir dans ce monde que par procuration. » Et de temps à autre il le faisait voyager durant quelques mois, dans l’espérance que quelque rencontre, quelque aventure imprévue réveillerait cette volonté assoupie et ce cœur endormi. C’est ainsi que Didier s’en était allé par son ordre faire une tournée en Allemagne. Il n’avait pas lieu de s’en plaindre, puisqu’il avait rencontré Hamlet à Berlin.

On comprendra par ce narré de sa jeunesse ce que dut éprouver Didier en apprenant la mort de son père. Sa tendresse pour ce père, auquel il ressemblait si peu et dont les maximes n’étaient guère à son usage, avait été jusqu’alors le seul mobile de ses actions. Qu’allait-il faire ? Qui désormais secouerait son indolence ? Qui se chargerait de vouloir pour lui ? Sur quoi réglerait-il l’emploi de ses heures ? Il lui semblait que, privée du ressort qui la mettait en mouvement, sa machine allait s’arrêter.

III.

Heureusement des occupations forcées l’empêchèrent de s’enfoncer dans son chagrin. Son père ne l’avait jamais initié au détail de ses allaires ; quoi qu’il lui en coûtât, il dut se mettre au fait. Des lettres à écrire, des registres à compulser, de volumineuses correspondances à dépouiller, des actes à signer, lui prirent une bonne partie de ses journées. Cet ingrat travail l’accablait d’ennui, et je doute qu’il en fût venu à bout, si M. Patru, le notaire de Nyons, n’eût été là pour lui tailler sa besogne et pour forcer ses répugnances. M. Patru était un homme tel qu’il s’en rencontre souvent dans cette partie du Dauphiné : un cœur chaud sous une rude écorce. Court de taille, large d’épaules, ardent, la tête près du bonnet, abritant derrière de grosses lunettes montées en argent de petits