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qui fait de la science une introduction à la foi, enlève à la pensée une franchise d’allure sans laquelle on ne peut se mesurer avec toutes les difficultés des questions. Ces ménagemens, il est vrai, donnent à la raison une autorité plus persuasive auprès de ceux (et c’est peut-être le plus grand nombre) qui ne peuvent cesser d’écouter jusque dans les pures régions de la science leur cœur et leur imagination ; mais ils peuvent produire un effet tout différent lorsque la discussion s’adresse à ces esprits sévères, exigeans, qu’il serait en principe le plus désirable de ramener et de convaincre. Ceux-ci supposent aisément que la philosophie religieuse, quand elle est d’ailleurs chrétienne, traite de la science comme de la foi, et confond l’invisible avec le surnaturel, le mystère avec le miracle.

Cette observation s’applique également à un ouvrage bien composé et bien écrit, la Théodicée de M. de Margerie. C’est un méthodique exposé de toutes les idées classiques en cette importante matière, un cours d’enseignement irréprochable qui n’alarmera personne et qui satisfera plus d’un esprit sérieux. L’auteur connaît toutes les questions, toutes les objections et toutes les solutions reçues, et il présente avec ordre, avec intérêt, dans un style juste, clair, élégant, animé, toutes les idées d’une philosophie orthodoxe doublée d’une parfaite orthodoxie chrétienne. Il les défend avec force et conviction, et si sa polémique a paru quelquefois vive, on n’a pu dire qu’elle fût jamais violente. Il y a une impartialité interdite à la foi catholique, et il est bien difficile d’attendre une inaltérable modération de celui qui combat des opinions qu’il doit tenir au fond pour des offenses envers la justice suprême. Cette arrière-pensée doit peser sur la liberté d’esprit nécessaire pour apprécier avec justesse et mesure les difficultés nombreuses et compliquées des divers systèmes de théodicée. La crainte des conséquences doit embarrasser à chaque pas le raisonnement. L’intelligence n’a plus à compter seulement avec elle-même, et les scrupules de la conscience se joignent aux inquiétudes de l’esprit. Comment par exemple se hasarder à traiter la terrible question de l’existence du mal, si l’on reste sous l’empire d’une croyance qui défend de recourir, en l’interprétant sainement, à l’optimisme de Leibniz ? Aussi le chapitre de M. de Margerie sur cet épineux problème est-il un des moins concluans de l’ouvrage, et l’on n’ose le lui reprocher bien sévèrement, si l’on songe à la quantité de paralogismes que n’ont pas su éviter d’excellens esprits toutes les fois qu’ils ont voulu expliquer l’existence du mal tel que l’expérience le manifeste sous la domination du souverain bien ou sous l’empire d’une bonté toute-puissante. M. de Margerie a dû se borner à répéter les explications connues. En général, il ne faut pas lui