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combien dans notre Europe balbutient le mot de création sans y attacher, un sens précis, et trahissent ensuite une conception très défectueuse de l’acte d’une toute-puissance qui tira l’être du néant ! Cette idée, précisément parce qu’on la tient pour divinement révélée, ne peut être regardée comme une croyance universelle et nécessaire. En dehors du christianisme, ce n’est qu’une hypothèse philosophique ; mais enfin elle ne trouvera ici nul contradicteur. On se permettra seulement de remarquer qu’elle ne confère nullement au créateur le caractère de l’absolu proprement dit. D’abord il est admis que Dieu est essentiellement tout ce qu’il est ; il est l’être nécessaire ; ses attributs sont nécessaires comme lui. On s’est cru en droit d’en conclure qu’il était nécessairement créateur, et en ce cas il avait ou plutôt il a de toute éternité des relations et des relations nécessaires avec la création. Mais je laisse cette question, qui embarrasse les théologiens, et, prenant la création comme un fait, le monde dans sa réalité actuelle, je demande si aucune relation n’existe entre la nature et l’auteur de la nature. N’y a-t-il pas eu, à parler comme Leibniz, de raison suffisante pour que les choses fussent telles qu’elles sont, et ne serait-ce pas ramener L’origine des choses au hasard que de nier un rapport entre le monde et Dieu, rapport qui devient nécessaire dès lors que le monde existe ? Qui contesterait à saint Augustin et à saint Thomas que Dieu ne peut pas faire actuellement que le monde n’ait pas été, ni qu’il ait été autre qu’il n’a été ? Voilà donc une relation et une relation nécessaire du créateur à son ouvrage. J’admets, si l’on veut, que Dieu a été libre de créer pu de ne pas créer, et même maître de créer autrement ; mais cette idée de la toute-puissance divine ne porte aucune atteinte aux vérités nécessaires, et il résulte de celles-ci des relations de raison, de possibilité, de justice enfin et de sagesse, qui unissent Dieu au monde, relations qu’il serait téméraire de prétendre définir, mais qu’il ne l’est pas d’affirmer.

Il suit que Dieu n’est pas absolument absolu, qu’il ne peut être défini par cette dénomination germanique l’absolu, à moins qu’on n’explique que, par ce titre d’absolu, on prétend seulement affranchir Dieu de toute dépendance quant à son existence. Oui sans doute, il existe par lui-même, il ne dépend que de lui-même. Pour être, il n’a besoin de rien de ce qui n’est pas lui. Il est sans cause, étant la cause première, et, comme on dit depuis Aristote, il est la cause de lui-même, causa sui, mais une cause cesse d’être absolue dès qu’elle est en acte, et elle est logiquement et moralement liée à ses effets.

On voit comment ces expressions d’infini et d’absolu appliquées à la Divinité sont, non pas fausses, mais équivoques, et ne peuvent être employées à la légère et sans une interprétation qui prévienne