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Les écrits politiques de M. de Barante, de principe ou de circonstance, son travail sur les communes et l’aristocratie, ses Réflexions sur les œuvres politiques de Jean-Jacques Rousseau, ou, comme il les intitule aussi, son Histoire de l’égalité en France, ses Questions constitutionnelles ou Essais sur la souveraineté, le suffrage universel, les emplois publics, la propriété, le travail, etc., offrent le même caractère d’étendue et de liberté d’esprit, d’équité impartiale et de fermeté morale. Il a des idées arrêtées et point d’idée fixe ni exclusive ; il veut le respect des droits de tous, mais aussi le respect de tous les droits ; il ne sacrifie jamais un principe à un autre principe, un intérêt à un autre intérêt ; il connaît la variété et la complication des élémens de toute société humaine ; il tient compte de tous et ne perd jamais de vue le rôle et la part qui reviennent à chacun. Il accepte ainsi le problème social dans toute son étendue sans renoncer à le résoudre ; il est étranger à tout scepticisme indifférent et chancelant comme à tout dogmatisme étroit et tyrannique ; il n’admet pas que la raison savante et le bon sens pratique soient en contradiction, ni que l’ordre et la liberté ne puissent et ne doivent se concilier, sous des formes et à des degrés divers, selon les lieux et le temps. Il persiste à poursuivre avec foi le grand but de la nature et de la société humaine, sans méconnaître la diversité et la rudesse des routes, et en acceptant avec résignation la lenteur des progrès.

Ce sont là les caractères et les mérites qui font de M. de Barante l’un des plus fidèles représentans de ce grand et modeste parti que j’ai appelé le parti du sens moral et du bon sens, de ce parti si souvent méconnu, battu, attristé, découragé, et pourtant invaincu, invincible et persévérant dans ses vœux et ses efforts, malgré ses douleurs et ses revers. L’humanité a des instincts profonds plus puissans que ses plus amères épreuves, et auxquels elle obéit sans savoir combien elle aura de peine à prendre et de temps à attendre pour en obtenir la satisfaction. Telle est la condition du parti dont je parle : il est destiné à souffrir beaucoup et à ne jamais périr ; il a au fond, dans son droit et sa force, plus de foi qu’il ne s’en rend compte ; il espère encore quand il se croit désespéré ; il travaille toujours, même quand il semble renoncer, — et si dans l’une de ses mauvaises saisons il rencontre un homme qui lui soit sérieusement analogue et qui lui ait donné, avec quelque éclat, sa pensée et sa vie, aussitôt la sympathie publique s’éveille et va chercher cet homme jusque dans son tombeau pour le distinguer entre tous et l’honorer hautement. C’est là la cause obscure, instinctive plutôt que réfléchie, mais réelle et décisive, du sentiment qui s’est manifesté, à la mort.de M. de Barante, dans la population