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le Danube sur un de ses points les mieux gardés, là où les forteresses de Matchin, de Toultcha et d’Isaktcha peuvent si bien, sinon croiser leurs feux, du moins les combiner. Si un fleuve n’est point un obstacle sérieux, une chaîne de montagnes est une barrière redoutable, surtout lorsque cette chaîne s’appelle les Pyrénées, les Alpes ou les Balkans. Serait-il par hasard plus facile de franchir cette gigantesque ceinture de glaciers et de neiges éternelles, cet Himalaya qui domine du haut de ses 10,000 mètres toute une armée de montagnes aiguës devant lesquelles notre Mont-Blanc et notre Saint-Bernard ressembleraient à des collines ? Voilà le vrai boulevard de l’Inde, boulevard bien efficace, puisque la frontière nord de ce beau pays est restée inviolée pendant des milliers d’années. L’Himalaya ne peut être forcé de front par une armée d’invasion : c’est un point évident et qu’il serait oiseux de prouver ; mais ne peut-il pas être tourné ? Par l’extrémité orientale de la chaîne, c’est impossible ; elle ya finir au fond de l’Indo-Chine, à des profondeurs absolument inconnues. Et par l’occident ? Ici la question devient grave, et nous sommes ramenés à l’Afghanistan, car c’est au fond des pays afghans que viennent finir les dernières ondulations de cette sierra formidable. L’histoire ici appuie les conclusions de la géographie physique. L’Afghanistan a été le grand chemin de toutes les invasions de l’Inde depuis Sémiramis et Alexandre jusqu’à Mahmoud de Ghizni et Baber, jusqu’aux Mongols et aux Afghans.

Avant d’étudier au point de vue stratégique les chances réservées à une invasion russe dans l’Hindoustan par la plaine afghane, nous ferons remarquer que la stratégie comme la balistique doit tenir compte de ce que les physiciens appellent la vitesse initiale, et des causes qui peuvent en neutraliser l’effet. On calcule mathématiquement la force destructive d’un projectile au sortir du canon et la distance à laquelle cette force sera réduite de moitié ou entièrement supprimée. Sans doute il est impossible de calculer avec la même précision les chances de succès qui accompagnent une armée d’invasion, car dans tout choc de masses d’hommes contre des masses d’hommes il faut s’attendre à des élémens imprévus qui échappent à la simplicité abstraite des opérations mathématiques ; mais, en mettant de côté ces chances inévitables d’imprévu, il est bien évident que la loi physique des distances est un élément de calcul qu’il est impossible de négliger, surtout dans l’hypothèse qui nous occupe. Les personnes à qui la géographie de l’Asie n’est pas très familière voient, en jetant les yeux sur la carte, que la frontière russe actuelle n’est séparée de l’Inde anglaise que par six degrés de latitude, la distance de Paris à Novare, et elles seraient presque tentées de croire que cette distance n’est pas, dans cette