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pastorales et marchandes, comptant 8,000 familles, et disposant de 30,000 chameaux sans compter environ 10,000 bœufs de transport. Les Povindahs, organisés en caravanes semblables à de véritables corps d’armée, partent chaque année de la frontière persane et se dirigent sur l’Inde par trois routes, celles de Kaboul, de Ghizni, de Kandahar, qui toutes trois aboutissent à l’Inde. Ils écoulent les articles russes, persans et turkestanis sur les marchés afghans, où ils achètent les produits indigènes (parchemins, graines tinctoriales, assa-fetida, cumin, salep, conserves diverses), qu’ils vont vendre dans l’Inde. Ils pénètrent jusqu’à Bénarès à l’est, Bombay au sud. En retour, ils prennent des produits manufacturés, cotonnades, mousselines, châles, soieries, brocarts, et les innombrables drogues de la pharmacopée asiatique, fort semblable à ce qu’était la nôtre il y a deux cents ans. Un chiffre donnera une idée de l’importance de ce mouvement d’affaires ; entre tant de produits divers, nous ne prendrons que les laines : or la valeur des laines qui passent chaque année par la seule route de Ghizni est estimée à 70,000 roupies (175,000 fr.). Il faut en outre considérer que l’Afghanistan n’est pas seulement une voie de transit ; c’est aussi un débouché considérable, et l’Inde anglaise a l’ambition fort légitime d’y supplanter sa rivale. Quelle que soit l’issue future de cette compétition commerciale, il est certain que la guerre actuelle compromet d’une manière désastreuse les intérêts qui sont en jeu de chaque côté, et il n’est pas étonnant que les deux puissances européennes en désirent la fin. Nous avons déjà dit un mot de la démarche conciliatrice faite par l’Angleterre en 1863, et qui a été si mal accueillie. La Russie, pour sa part, en a fait une autre, d’un caractère un peu différent : le gouverneur-général du Turkestan a envoyé un agent indigène, nommé Jubal-Khan, porter aux émirs de Kaboul des assurances de sympathie. Les émirs étant les souverains de fait, cette démarche n’engageait pas beaucoup le gouvernement russe envers un pays si éloigné de ses frontières ; elle n’avait donc pour but que de faciliter la continuation des bonnes relations commerciales. L’agent russe, en quittant Kaboul, se rendit à Peshawer, où l’autorité, à qui il était signalé comme espion, le fit surveiller, mais sans l’inquiéter le moins du monde. C’était agir d’une façon digne et logique, puisqu’à la même date un babou (lettré hindou au service civil des, Anglais) s’acheminait vers Bokhara, par Djellalabad et Kaboul, sous prétexte de négoce, pour étudier la situation politique de la Boukharie et les progrès des Russes en ce pays. Intelligent et instruit, comme le sont généralement les hommes de cette classe, le babou avait recueilli sur sa route des informations géographiques et économiques d’une assez