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au Kaboul devait amener des incursions sur le territoire britannique), avait proposé sa médiation aux divers belligérans. Elle fut sèchement repoussée par les émirs. Ceux-ci dans l’intervalle avaient usé de leur pouvoir de manière à soulever contre eux beaucoup d’inimitiés, si bien que divers chefs influens se prononçaient pour Chir-Ali pendant que les ulémas lançaient un fetva (décret religieux) établissant que Chir-Ali était le prince légitime. Les puissantes tribus des Ghilzaïs et des Ahmedzaïs ainsi que Fyz-Mohammed-Khân, vice-roi de Bactriane, se déclarèrent également pour lui. Les émirs essayèrent de faire de l’intimidation. Ils attirèrent au palais le principal chef des opposans, Refik-Khan, et l’assassinèrent. Ils jetèrent en prison 160 chefs des Ghilzaïs et des Ahmedzaïs, puis lancèrent des corps d’armée contre ces deux tribus. Leur situation n’en paraissait guère améliorée en août 1866, quand je quittais l’Inde. Chir-Ali se disposait à reprendre la campagne au mois suivant ; il avait fait venir d’Hérat de l’infanterie et des canons. Je n’ai pas besoin d’ajouter que tout le pays offrait le spectacle le plus affligeant : le commerce anéanti, les caravanes mises à rançon, les campagnes écrasées de réquisitions, la disette partout, le prix du blé décuplé, et le peu qu’on en trouvait monopolisé par le gouvernement. Il est fort à craindre que cette situation déplorable ne se prolonge encore des années entières ; les Orientaux ne sont jamais pressés en aucune sorte d’affaire, pas même lorsqu’il s’agit de mettre fin à une guerre civile qui les ruine. Les condottieri, qui abondent au Kaboul, y trouvent leur compte ; mais les classes paisibles et laborieuses ne peuvent que désirer un régime meilleur, et, bien que le sentiment national soit encore très vivace chez ces populations énergiques, elles salueraient sans doute avec bonheur toute intervention étrangère, qu’elle vînt de l’Angleterre ou de la Russie.

Je me suis étendu un peu sur ces troubles de l’Afghanistan parce qu’ils affectent gravement la situation générale du centre de l’Asie. Le Kaboul est la grande route commerciale entre la Perse, la Boukharie et la Russie d’une part, l’Inde et la Chine de l’autre. En attendant que ce pays soit appelé à être le théâtre des rivalités politiques de la Russie et de l’Angleterre, il est l’objet d’une lutte active, plus pacifique et plus féconde, entre les commerçans de ces deux nations. En ce moment, l’industrie russe semble maîtresse de la position : ses produits, moins perfectionnés, mais aussi moins chers, remplissent presque exclusivement le marché afghan malgré le double désavantage d’une distance triple et de routes médiocrement sûres. Le trafic entre la Perse et l’Inde par le Kaboul se fait dans des conditions curieuses et qui doivent remonter à une haute antiquité. Il appartient à quatre tribus appelées Povindahs,