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les prêtres ou mollahs ont en ces régions bien moins d’influence que dans le Turkestan. Par la même raison, il est vrai, le gouvernement n’est vraiment obéi que dans le centre de l’empire, à Kaboul, qui est la capitale, et dans les villes secondaires, comme Kandahar, Ghizni, Bamian, Djellalabad. Les montagnes voisines de la capitale sont occupées par des tribus barbares, dont quelques-unes, comme les Hezareh, ont du sang mongol dans les veines ; elles sont libres de fait, mais reconnaissent la suzeraineté de l’émir de Kaboul. Au contraire il existe le long de la frontière anglaise une ligne d’autres tribus afghanes, comme les Swatis, les Affidis, les Waziris, qui sont tout à fait insoumises. Les Waziris, bien que considérés comme des espèces de sauvages par les gens de Kaboul, cultivent la terre et ont d’autres gagne-pain que la maraude ; ce n’est qu’accidentellement qu’ils se livrent au brigandage. Il n’en est pas de même des tribus regardées comme « nobles » dans le Kaboulistan, et auxquelles appartient la famille actuellement régnante : ces tribus, connues sous le nom de Baraksaï, de Berdouranis, de Douranis, ne vivent qu’aux dépens d’autrui, rançonnent le laboureur et le bourgeois, pressurent les caravanes à l’entrée de tous les coupe-gorge décorés du nom de gumruk (douanes), et les pillent sur les grands chemins. Il n’y a rien d’étonnant qu’un pareil régime crée un antagonisme perpétuel entre la classe inutile et oppressive d’une part et de l’autre les producteurs, opprimés et exploités sans mesure. Cet antagonisme ne peut amener de révolution, puisque dans presque tout l’Orient le producteur est timide et désarmé ; mais il engendre, en cas d’invasion européenne, un courant d’opinion favorable aux envahisseurs et des embarras sérieux au gouvernement assailli. Dans ces contrées, l’occupation britannique a suffi, bien qu’elle ait peu duré, à exciter la sympathie et la reconnaissance de la population des villes, émerveillée et touchée de se voir pour la première fois administrée par d’honnêtes gens. Le général Ferrier, passant à Ghizni lorsqu’il allait offrir ses services à Rundjet-Sing, constata ces sentimens dans la classe la plus honorable de la population, et ce témoignage est d’autant moins suspect que le spirituel et hardi voyageur ne ménage pas ailleurs les sévérités à l’administration anglo-indienne. Ce bon souvenir du passage des Anglais s’est conservé partout où a flotté leur drapeau, et n’a pu que se fortifier depuis trois ans par le contraste des événemens que je vais brièvement raconter.

L’émir vainqueur de 1842, Dost-Mohammed, avait eu l’habileté, une fois revenu au pouvoir, de maintenir avec ses puissans voisins des relations courtoises et presque amicales. Il n’avait eu qu’à se louer de cette politique, quand en 1849 l’annexion de l’état des Sikhs à l’Inde anglaise découvrit du côté de l’est toute la frontière