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généreux adversaire, passionné comme nous-mêmes pour les traditions de sa race, au lieu de le traiter chevaleresquement, est toujours prêt à lui jeter de la boue ?… Grand Dieu ! un temps doit-il venir, et plus tôt que nous ne pensons, où notre académie toute seule protégera encore, faible lueur vacillante, cette langue hongroise que le Magyar honore, il est vrai, comme le fondement de son existence nationale, mais qu’il n’aura pas su répandre, qu’il aura détruite au contraire en la rendant odieuse par son orgueil et son fanatisme ? »


Accoutumés aux flatteries des tribuns, les Hongrois ne devaient pas faire bon accueil à de telles remontrances. C’est devant l’académie de Pesth et comme président de la compagnie, que le courageux homme d’état prononça ce discours ; des témoins nous apprennent qu’il provoqua une explosion de murmures. Jamais pourtant ce grand serviteur de la Hongrie n’avait mieux mérité de ses concitoyens. Les dangers qui menaçaient dès lors les intérêts magyars, qui les menacent encore et peut-être plus que jamais, étaient hardiment dévoilés. S’imagine-t-on par hasard que le dualisme de la nouvelle Autriche soit la solution définitive des difficultés qui pèsent sur cette malheureuse maison des Habsbourg ? Suffit-il d’avoir établi deux Autriches, l’Autriche allemande à Vienne, l’Autriche magyare à Pesth, pour donner une vie nouvelle à l’empire ? Il faudrait une distraction singulière pour ne pas entendre dans l’une et l’autre moitié de la monarchie ces millions de Slaves qui revendiquent leurs droits. Ce sont aussi de nobles races, et tandis que les Hongrois triomphent, tandis que les Allemands assistent à ce spectacle avec une surprise inquiète, il y a là plus de 16 millions d’hommes, Tchèques et Croates, humiliés, frémissans, exposés malgré eux aux tentations funestes du panslavisme. Je sais bien que l’empereur François-Joseph et le chancelier de l’empire, M. de Beust, promettent aux Slaves de toute l’Autriche le respect de leur autonomie ; ce qui se fonde aujourd’hui n’est qu’un commencement, et les Tchèques comme les Croates peuvent espérer un jour une destinée meilleure. D’où vient cependant que les Slaves de Bohême et de Croatie ne sont rassurés ni par les promesses de François-Joseph, ni par les circulaires de M. de Beust ? C’est que l’esprit magyar les effraie, cet esprit de domination hautaine, si vivement dénoncé, il y a vingt-cinq ans, par le généreux Széchenyi.

Un des plus dignes représentans de la race slave en Bohême, le vénérable M. Franz Palacky, me disait il y a quelques semaines, au moment de partir pour le congrès slave de Moscou : « Vous vous occupez du comte Széchenyi. C’est une grande figure. Széchenyi est le seul Magyar qui ait eu le respect des autres races. Si le gouvernement autrichien s’inspirait de ses principes, si tous les