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Soyons persuadés que les intentions du gouvernement sont honnêtes, bien qu’elles ne soient pas conformes à l’esprit de la constitution. Peut-être, aussi nous-mêmes ne sommes-nous pas encore mûrs pour la vie constitutionnelle librement développée ; car le respect auquel nous avons droit augmente ou diminue avec notre valeur intellectuelle, et morale. Renonçons donc à cette impétuosité d’allures par laquelle beaucoup d’entre nous cherchent à se rendre populaires et s’efforcent même de se dépasser les uns les autres. n’est-ce pas cette émulation de fougue irréfléchie qui a conduit la France de Bailly à Camille Desmoulins, de Camille Desmoulins à Danton, de Danton à Robespierre, pour finir dans le despotisme le plus absolu qui fût jamais ? Apprenons de notre patriotisme à sacrifier nos personnes, si nous ne voulons pas subir le même sort, nourrissons en nous le sentiment de la communauté, n’ayons tous qu’une seule âme, en un mot forçons nos ennemis eux-mêmes à respecter le peuple magyar ! Quant au gouvernement, ce n’est pas assez qu’il ait renoncé à germaniser la Hongrie, il faut aussi qu’il renonce à la fondre avec les autres états de la monarchie ; ce serait une entreprise désormais impossible. On peut nous tuer, on ne nous fondra jamais dans l’Autriche… Il est certain que la complète régénération de la Hongrie est une nécessité de premier ordre ; mais comment accomplir une telle œuvre, si la nation ne comprend pas le gouvernement, ni le gouvernement la nation, séparés qu’ils sont par de continuelles défiances ? »


Excellentes paroles et merveilleuse prévision de l’avenir ! N’est-ce pas, à vingt-huit ans de distance, le programme adopté aujourd’hui par M. de Beust ? Quel sang précieux on aurait ménagé, que de scènes horribles, on eût épargnées à l’histoire du XIXe siècle, si Magyars et Allemands eussent écouté plus tôt les conseils du comte Széchenyi ! Malheureusement, pour des causes qu’il serait superflu d’exposer en détail, les défiances, apaisées un instant par les remontrances du noble orateur, éclatèrent bientôt plus vives que jamais. Louis Kossuth venait de paraître sur la scène. Publiciste fougueux, orateur inspiré, il entraînait dans des voies toutes nouvelles les anciens disciples du réformateur. L’idée de la révolution, épouvantail de Széchenyi, souriait au jeune tribun. Si la rupture avec l’Autriche, si une réforme radicale des institutions du pays, si la révolution enfin peut nous donner l’indépendance nationale, pourquoi redouter des épreuves dont la récompense est si haute ? Ainsi pensait Kossuth, et le Journal, de Pesth (Pestï hirlap), qu’il venait de fonder en 1841, mettait le feu aux poudres. Tous les sentimens généreux sur lesquels s’était appuyé le réformateur, libéralisme, patriotisme, devenaient aux mains du tribun de vraies machines de guerre. Telle était pourtant l’ardeur des esprits, tel était