Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plainte douloureuse, un autre membre de l’assemblée ajoute un véhément appel. C’est M. Paul Nagy, un des maîtres de la tribune magyare après 1815. Il reprend la pensée du préopinant, énumère les divers moyens de remédier au mal, expose les lenteurs, les difficultés de chaque système, puis, ne voyant de salut que dans la générosité des hautes classes, il conclut en ces termes : « Les sacrifices des grands du pays peuvent seuls amener à bonne fin l’établissement d’une académie nationale. Il faut répéter à ce sujet ce que disait un général illustre parlant de la conduite de la guerre : trois choses y sont indispensables, de l’argent, de l’argent, et encore de l’argent. » À ces mots, un des auditeurs se lève : « Messieurs, dit-il, je n’ai pas voix délibérative dans cette enceinte, je ne suis pas un des grands du pays, mais j’y possède des terres. Eh bien ! s’il se forme un institut chargé de relever la langue hongroise, chargé de procurer une éducation hongroise aux enfans de notre race, je donne à cet institut une année entière du revenu de mes domaines. » C’était un don de soixante mille florins, environ cent cinquante mille francs, que cet assistant à peu près inconnu venait de jeter dans l’urne des législateurs. Qui a parlé ? demandait-on de toutes parts. On sut bientôt que c’était le comte Stéphan Széchenyi, un gentilhomme dont on ne se rappelait que les juvéniles équipées et les frivolités brillantes. L’enthousiasme est prompt comme la poudre en ces imaginations à demi orientales ; nul ne voulut être le dernier à suivre cet exemple. Une souscription immédiatement ouverte se couvrit de signatures. Magnats et députés, chacun apportait son offrande. Dans l’espace d’un quart d’heure, l’académie nationale fut fondée.

Était-ce le hasard qui avait amené le comte Stéphan à la diète de Presbourg ? ou bien, en intervenant si à propos, avait-il voulu frapper l’imagination de ses compatriotes et les décider par l’enthousiasme ? Heureux hasard ou combinaison généreuse, la scène de Presbourg fut l’éclatant début du comte Széchenyi dans la carrière où il entrait. Il avait compris l’immense intérêt d’une culture intellectuelle véritablement nationale, et il avait fait de cette réforme le point de départ de son œuvre.

Honorer la langue du pays, la relever, l’enhardir, l’accoutumer à traiter les plus grands sujets, en faire l’expression respectée de l’esprit public et provoquer par là un nouveau développement de cet esprit, telle était la tâche de l’académie fondée par le comte Széchenyi. Elle y travailla si efficacement que le réformateur put concevoir bientôt une ambition plus haute. En 1825, le comte Széchenyi avait demandé à l’académie hongroise de prendre en main la cause de la langue populaire ; en 1831, il fit un appel du même