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faible pour s’abandonner soi-même, il faut bien s’accommoder aux circonstances, et l’esprit politique se développe. On apprend alors, non pas à oublier, mais à pardonner ; on ne permet pas aux ressentimens du passé d’entraver les compromis du présent et de fermer la porte à l’avenir ; on s’exerce à dominer ses passions pour ne servir que l’intérêt public ; on acquiert enfin cette clairvoyance qui donne la vraie mesure des concessions utiles et des résistances nécessaires. Si l’esprit politique formé au milieu de ces épreuves est un des traits les plus intéressans de la Hongrie, la famille Széchenyi est une de celles qui a le plus constamment représenté ces différentes phases de l’éducation nationale. Vers la fin du XVIIe siècle, à l’époque où, la grande levée d’armes des Rakoczy, des Téléki, ébranlait l’empire des Habsbourg, Paul Széchenyi, archevêque de Kalotscha, l’un des ancêtres du comte Stéphan, resta obstinément fidèle à la maison impériale ; mais lorsque l’Autriche, une fois l’insurrection vaincue, voulut réorganiser la Hongrie sur une base nouvelle, l’archevêque de Kalotscha, invité par l’empereur à prendre part aux délibérations de son conseil, s’opposa énergiquement aux mesures qui avaient pour but de réduire à néant la vieille constitution et de germaniser les Magyars. Ni le ministère ni les jésuites autrichiens ne purent triompher de sa résistance ; menaces, intrigues, tout fut inutile. L’archevêque faillit payer de sa vie cette révolte héroïque, il perdit à jamais les bonnes grâces du souverain et l’espérance de siéger un jour à Gran comme primat de Hongrie ; qu’importe ? il avait fait échouer des projets qui ne lui paraissaient pas moins funestes à l’Autriche qu’à la Hongrie elle-même. Telle était, au temps de Rakoczy, la double inspiration de cette forte race ; telle on la retrouve, plus active et plus glorieuse encore, au milieu des terribles épreuves du XIXe siècle.

C’est à Vienne, le 21 septembre 1792, que naquit le comte Stéphan Széchenyi. Son père, le comte Franz, y occupait des emplois considérables, bien qu’en plusieurs occasions l’aristocratie autrichienne eût essayé de le rendre suspect au gouvernement. Il était fidèle en effet aux traditions de ses ancêtres, et son attachement à la monarchie des Habsbourg ne l’empêchait pas d’entretenir par tous les moyens le patriotisme hongrois ; c’est lui qui établit à ses frais le musée national de Pesth et le dota d’une riche bibliothèque. Le jeune Stéphan n’avait qu’à recueillir les leçons d’un tel père pour remplir noblement la carrière que l’esprit des temps nouveaux allait bientôt ouvrir à son pays. Les événemens qui agitaient le monde parurent l’arracher d’abord à sa vocation véritable ; en 1809, âgé de dix-sept ans, il fait ses premières armes sous les drapeaux de l’Autriche, il prend part à toutes les grandes