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et de fleurs ; » mais ces fleurs sont promptement fanées, mais ces rivières sont desséchées avant la fin de l’été, et le manque de sources oblige le laboureur à contempler avec une espèce d’angoisse l’inaltérable sérénité du ciel. C’est alors que Perpéria doit « apporter la rosée, » que Perpérouna doit « prier pour la pluie. » — « Seigneur, verse une pluie, une pluie pour qu’on puisse labourer ! — que les eaux arrivent en ruisseaux !… — Que les champs fructifient, — que les vignes fleurissent, — que nos semailles mûrissent !… — Qu’ils fleurissent, les blés, les cotons, les herbes fraîches ; — que l’eau arrive à flots, le blé en masse ! »

Une pareille poésie nous reporte fort au-delà de l’époque chrétienne. Le moyen âge même, qui vit en Occident régner à peu près sans partage le sombre esprit du catholicisme, si bien empreint dans l’architecture des cathédrales, dans des chants religieux tels que le Stabat et le Dies iræ, le moyen âge n’eut pas dans la péninsule le même caractère et la même influence. Les chants roumains sont plus préoccupés du soleil et de la lune que du Christ et de la Vierge ; les Serbes ainsi que les Bulgares semblent toujours fidèles au culte des vilas ; quant aux Hellènes, qui multiplient les traits frappans pour donner une nouvelle vie aux traditions antiques, ils sont sans verve dès qu’il faut chanter les mystères de Jésus, les souffrances de Marie et les grandeurs de saint Basile. Bien que leurs pères eussent trouvé d’inimitables accens pour exprimer les angoisses maternelles de Déméter, et que leurs mères eussent versé des torrens de larmes sur les douleurs d’Aphrodite et sur la mort d’Adonis, leurs poètes de l’âge intermédiaire, lorsqu’ils ont voulu peindre Marie au pied de la croix, n’ont su nous montrer qu’une vulgaire matrone gémissant avec un saint Jean qui s’arrache les cheveux au pied d’un gibet sans grandeur, faisant des « mirologues, » maudissant le bohémien qui prépare les clous, et voulant se jeter dans un précipice comme une chrétienne poursuivie par des Turcs. Dira-t-on que le caractère mélancolique du christianisme répugne profondément à cette race méridionale, tandis que les Germains et les Celtes, dans les brouillards de l’Occident, devaient s’assimiler beaucoup mieux l’esprit de la religion nouvelle ? L’observation ne manque pas de vérité ; cependant on remarquera aussi que certains chants kharoniens ne sont pas, comme poésie lugubre, inférieurs aux tableaux sinistres du moyen âge catholique. La cause principale de cette infériorité de la Grèce dans l’expression des croyances chrétiennes réside donc, ce me semble, dans la liberté qu’eurent les masses de rester fidèles à leur attachement instinctif aux vieilles traditions pélasgiques. En Occident, une église éminemment politique et fortement centralisée a pu, avec le temps et l’appui énergique du bras séculier, arracher des âmes les souvenirs du passé,