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PROSPER RANDOCE.


narquois, insinuait discrètement qu’il y avait un peu de miracle dans cette affaire et qu’il faut être en état de grâce pour trouver à l’eau de Saint-May une odeur de violette. M. Lermine était le plus sociable des hommes, il voulut retenir le docteur à dîner ; mais celui-ci s’excusa, répondit qu’il avait encore deux malades à voir, qu’on ne l’attendit qu’au dessert.

Quand il fut parti, le bonhomme, montrant à Didier une chaise de poste dételée, lui annonça d’un air perplexe que M’ ne Lermine venait d’arriver. Ce voyage, qu’il traitait d’escapade, l’intriguait fort. Qu’était venue faire la reine dans une hôtellerie de campagne ? On avait eu grand’peine à la loger. Cette personne si délicate, si douillette, s’était accommodée d’un taudis dont elle n’aurait pas voulu pour sa femme de chambre en temps ordinaire. Didier répondit en souriant qu’après Austerlitz l’empereur François était venu chercher le vainqueur dans sa tente pour lui demander la paix. Sur cette réponse qui le charma, M. Lermine serra tendrement la main de son cher Peyrols.

— Et votre mystérieux message ? lui dit-il. Quelle affaire si importante peut rappeler M. Randoce à Paris ? Croyez-vous que je lâche ainsi ma proie ? Ce garçon m’appartient, vous m’en avez fait cadeau. Nous devons signer au premier jour notre traité, et je ne puis lui donner de si tôt la clé des champs.

Didier lui répondit vaguement que les affaires étaient les affaires, mais que sans doute Prosper ne partirait pas sans lui faire tenir de ses nouvelles. — Mon cheval est rendu, ajouta-t-il, et je me vois forcé de remettre mon départ à demain. Je serai des vôtres ce soir, et si Randoce nous fausse compagnie, je tâcherai de vous consoler.

Là-dessus, tandis que M. Lermine continuait de promener sur la place sa rêverie et ses inquiétudes, Didier mena lui-même à l’écurie son cheval ; puis, s’étant glissé dans l’auberge, il se trouva nez à nez avec la camériste, qui guettait son arrivée et qui le conduisit sur-le-champ auprès de sa maîtresse. Un seul coup d’œil suffit pour le convaincre que son frère s’était trompé, que Mme Lermine ne s’était ni ravisée ni calmée, qu’elle persistait dans ses grandes résolutions. Si petites que fussent ses ailes, l’oiseau tenait le haut des airs et ne songeait pas encore à se poser.

— Eh bien ?… dit-elle à Didier en le regardant d’un air d’exaltation.

— Madame, je vous demande en grâce de me confier le soin de vos intérêts. Laissez-moi faire, je m’engage…

— Je ne vous demande pas de promesses, interrompit-elle avec hauteur, je vous demande une simple réponse. Vous avez vu