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PROSPER RANDOCE.


sant M. Lermine mit Didier au courant de toutes ses petites affaires. Il était de ces hommes qui aiment à se raconter, plaisir dont il était sevré depuis quelque temps. Il lui parla de sa santé, de ses projets, de ses espérances, avec l’effusion d’un homme qui a pensé se noyer et qu’un miracle ramène à fleur d’eau. Il reconnaissait dans tout ce qui lui arrivait le doigt de la Providence ; il se promettait de ne pas demeurer en reste avec elle ; en fondant son journal, il entendait lui payer le principal et les arrérages. Son intarissable babil fatiguait un peu Didier, mais il n’en marqua rien. Le contentement du bonhomme était si naïf et son amour-propre si bienveillant pour autrui, que c’eût été conscience de le désabuser. Didier, qui ne se faisait point d’illusions sur son propre compte, était fort tolérant pour les illusions des autres ; ce qui était sincère trouvait grâce devant son ironie.

En rentrant, ils se mirent à table. L’hôtesse leur fit bonne chère. M. Lermine l’ayant prévenue longtemps à l’avance de son arrivée, elle s’était pourvue d’un cordon bleu, sûre d’être libéralement remboursée de tous ses frais. Vers la fin du repas, M. Lermine, qui avait affecté jusqu’alors de ne point parler de Randoce, entra brusquement en matière.

— Je vous avais écrit, dit-il à Didier sans exorde, que je désirais vous demander certains renseignemens. Selon toute apparence, vous êtes membre de l’académie silencieuse d’Amadan, et, comme le docteur Zeb, vous aimez à répondre sans ouvrir la bouche. Pour vous dispenser de toute explication, vous êtes arrivé ici de compagnie avec M. Randoce. C’était me dire très clairement : Ayez confiance, je réponds de lui comme de moi.

— Ah ! permettez, fit Didier. M. Randoce m’a rejoint en chemin…

— Bah ! pas de défaites ! interrompit M. Lermine en souriant. Ne vous en défendez pas, vous voulez du bien à ce jeune homme. Je vous avouerai que j’avais de fortes préventions contre lui ; je le soupçonnais d’être avantageux, libre de propos et de manières, peu scrupuleux, peu sur d’une moralité glissante, sujet cà manger dans la main, l’un de ces hommes qui en prennent long comme le bras quand on leur donne le bout du doigt, et qui en toute chose confondent l’abus avec l’usage. Voilà l’idée que je me faisais de lui. Évidemment je m’étais trompé. Je me flatte de vous connaître ; un vrai gentilhomme tel que vous doit être difficile en amitié, sévère dans ses choix, d’où je conclus que M. Randoce a des travers, mais que le fond est excellent. Autrement l’auriez-vous admis dans votre intimité ?

On peu embarrassé, Didier se contenta de s’incliner en signe d’assentiment.