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cette musique de la Grèce ; une sorte d’interdit nous défend d’aspirer à la solide et claire intelligence de ce mystérieux sujet.

Eh bien ! tel est l’attrait de tout fruit défendu que depuis le XVIe siècle, depuis que l’étude approfondie de l’antiquité est en honneur dans l’Europe savante, cette énigme de la musique grecque n’a cessé d’exciter de laborieuses ambitions. Les érudits Les plus sérieux, les plus sincères, en ont cherché le mot avec autant de constance et d’ardeur que si un succès complet avait pu couronner leurs efforts. Ouvrez la collection des mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres pendant le dernier siècle, vous trouverez presque à chaque volume quelque dissertation nouvelle sur le système musical des anciens. Et de nos jours dans ce même recueil la tradition n’est pas interrompue : de temps en temps M. Vincent enrichit de ses savans travaux, et soutient vaillamment sur ces mêmes questions des conjectures toujours ingénieuses, sinon toujours incontestées.

Jusqu’ici toutefois cette sorte d’entreprise n’appartenait de droit qu’à des savans de profession. Ceux-là seuls qui savaient du grec presque en surabondance s’avisaient d’essayer à mieux comprendre que leurs prédécesseurs tel mot, telle phrase, tel fragment réputé la clé du problème. Sous ce rapport, le livre dont nous parlons en ce moment sort de la voie commune. Ce qu’il a de vraiment neuf, de tout à fait original, c’est que l’auteur n’affiche aucune prétention. Il n’est et ne veut paraître ni philologue, ni antiquaire, ni helléniste, ni même philosophe, encore moins mathématicien. C’est un lettré, il en donne la preuve, c’est de plus un musicien, mais un homme du monde avant tout. Les affaires et la vie des salons ont semblé si longtemps l’absorber tout entier que ses amis ne l’ont pas vu sans surprise, une fois dans la retraite et loin du bruit, se prendre de passion pour l’étude. Rien cependant n’est moins extraordinaire que de telles métamorphoses ; ce qui est plus rare, plus étonnant, c’est qu’en prenant ce grand parti d’employer sérieusement ses loisirs, on affronte sans y être contraint, et, qui plus est, pour son début, le plus scabreux, le plus abrupt, le plus impénétrable des sujets.

Et ne croyez pas que l’auteur se borne à le côtoyer, qu’il n’en effleure que la surface et n’en cherche que les sommités ; c’est au cœur même des questions qu’il se place et comme un homme qui les possède à fond. Disons-le même, il en est presque trop pénétré et aborde un peu trop son lecteur, comme s’il reprenait avec lui une conversation interrompue, c’est-à-dire sans le mettre au courant par quelques explications préalables des matières dont il va parler, et de la valeur des mots qu’il emploiera. Rien en lui ne trahit un homme qui sortirait d’apprendre ce qu’il enseigne : loin de conduire les autres, en quelque sorte malgré lui, par les sentiers où tout à l’heure lui-même a dû passer, on le voit, dès les premières pages, entrer droit en matière ne s’adressant qu’aux initiés et se