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ESSAIS ET NOTICES.

UN MOT SUR LA MUSIQUE GRECQUE.

Études sur la Musique grecque, le Plain-chant et la Tonalité moderne, par M. Alix Tiron, 1 vol. Imprimerie impériale, 1866.


S’il n’existait aucun vestige de l’ancienne architecture grecque, pas un fût de colonne, pas un tronçon de chapiteau, pas la moindre moulure, nous aurions beau lire et relire tous les auteurs anciens qui parlent d’elle, nous n’en aurions aucune idée ; personne aujourd’hui ne saurait et n’aurait droit de dire ce qu’était un monument grec. L’architecture pourtant est quelque chose de matériel qu’on peut à la rigueur faire comprendre en le décrivant, et nous possédons sur cette architecture de la Grèce des documens écrits plus nombreux et moins incomplets que sur la plupart des autres arts. Il n’en est pas moins vrai que, sans les débris encore debout, sans les fragmens visibles qui nous expliquent ce grand art, il faudrait en faire notre deuil ; Vitruve à lui tout seul serait inintelligible. Les interprétations les plus contradictoires, les conjectures les plus opposées, se produiraient impunément sous l’apparente autorité de textes tantôt divers, tantôt diversement compris, et nous serions sur ce problème condamnés, quoi que nous puissions faire, à un doute éternel.

Voilà pourquoi l’espoir d’expliquer à des esprits modernes, à des lecteurs français, les idées, musicales de la Grèce n’est, à vrai dire, et ne peut être qu’une utopie. Eussions-nous, en matière de musique, dix Vitruve au lieu d’un, ils seraient impuissans à nous donner l’intelligence de cet art fugitif, impalpable, dont les derniers échos sont à jamais évanouis. Là, pas la moindre ruine, ni fragmens ni débris ; le sol est nu, rasé, et nous n’avons pas même pour nous servir de guide l’équivalent des notions et des règles que, dans le champ de l’architecture, Vitruve nous a conservées. Il est bien question de musique et à maintes reprises dans les auteurs grecs et latins, mais plutôt pour en dire les effets, pour en célébrer la puissance, pour y signaler des beautés inconnues à tous les autres arts, que pour en divulguer les conditions et les. lois. Si quelques philosophes, quelques mathématiciens, ont écrit des traités de musique, nous avons la mauvaise chance que ces œuvres techniques n’aient survécu que mutilées et par lambeaux. On peut donc dire que tout conspire à rendre inaccessible à notre esprit non moins qu’à nos oreilles