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M. Émile Olivier, s’attachant aux idées plus qu’aux personnes, vient de tracer un plan de politique libérale qui s’adapte naturellement aux combinaisons de tiers-parti mises en avant par M. Latour-Dumoulin. Au milieu de ces aspirations, qui se révèlent avec une certaine vigueur, le membre le plus éminent du présent ministère, M. Rouher, se montre infatigable et dédaigneux en continuant de porter toutes les charges oratoires du pouvoir avec une robuste assiduité. Sa forte santé politique, encouragée, dit-on, par le don impérial de la plaque en diamans de la Légion d’honneur, n’empêche point les nouvellistes de lui prédire des successeurs prochains. Il y a, on en conviendra, des élémens bien contradictoires dans la situation. La nature des choses aurait voulu que les réformes annoncées le 19 janvier fussent considérées comme un système devenant le point de départ décisif d’une nouvelle politique. La même tendance logique indiquait que ce système devait être mis en œuvre par des hommes qui se seraient montrés disposés à le réaliser avec une conviction chaleureuse et féconde. Il ne s’est passé rien de semblable. Les mêmes personnes sont restées au pouvoir ; elles n’ont point donné de caractère systématique aux mesures de réforme, elles n’en ont point fait la condition d’un renouvellement politique, elles n’ont mis aucune hâte à en assurer la réalisation. On est resté dans un état provisoire inconcevable. D’une part, la majorité de la chambre, accoutumée aux théories et aux pratiques du pouvoir fort, a été étonnée des réformes du 19 janvier ; de l’autre, les anciens ministres, ayant gardé leur portefeuille, n’ont pas déployé un grand zèle ni un vif empressement dans l’accomplissement de ces réformes. Ils laissent trop voir qu’ils croient peu à un changement de système, ou, si l’on veut, ils semblent s’efforcer d’unir la nouvelle phase politique à l’ancienne par une transition insensible. En persistant trop longtemps dans cette contradiction entre les idées et les personnes, on perdrait les avantages des deux théories de gouvernement, de colle à laquelle on a fait mine de renoncer, et de celle qu’on a fait mine d’adopter. La durée d’une pareille confusion serait une cause inévitable d’affaiblissement. Elle serait dangereuse pour le pays, qui, incertain, hésitant, ne saurait plus à qui et à quoi attacher sa confiance.

Un homme du mérite de M. Rouher doit comprendre mieux que personne les incohérences et les inconséquences dangereuses d’un tel état de choses. La vie au jour le jour, le recours aux expédions pratiques, l’emploi continu d’une puissance oratoire qui ne connaît pas la lassitude, ne sauraient dominer longtemps les difficultés d’une situation aussi embrouillée. Quoique M. Rouher n’ait point montré une grande tendresse pour les libertés publiques, tout le monde sent que rien ne l’empêche de devenir un homme d’état franchement libéral. Personne, quand il le voudra, n’en aura plus que lui l’étoffe. Entrant dans une voie décidément libérale, M. Rouher rallierait aisément les meilleurs esprits de la majo-