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là tout découle. Et le XVIIe siècle ! le XVIIe siècle, « c’est le développement d’une faculté unique, la raison oratoire, et par conséquent c’est le sommeil des autres. » La renaissance, c’est le développement musculaire et l’exaltation sanguine passant de la société et des mœurs dans l’art et l’imagination. Ce qui frappe cet étrange esprit dans un César Borgia, c’est ce que dit un contemporain assurant que le fils d’Alexandre VI « a tué six taureaux sauvages en combattant à cheval avec la pique, et à l’un de ces taureaux il a fendu la tête du premier coup. » C’est très caractéristique, je n’en disconviens pas ; mais si M. Taine s’était arrêté avec un peu moins de préoccupation devant le portrait de César Borgia dont je parlais l’autre jour, que Raphaël a laissé, et qui est, si je me souviens, au palais Borghèse, s’il s’était arrêté devant bien d’autres portraits qui sont à Rome ou à Florence, ceux de Jean de Médicis, de Machiavel, de Vésale, laissés par Titien, il eût découvert peut-être sur ces physionomies autre chose que la fureur sanguine et la tension musculaire. Quand on lit certains jugemens de M. Taine, on se réjouit de n’avoir point de système, d’être tout simplement un être sentant et pensant, se laissant aller à ses impressions naturelles, étudiant les hommes tels qu’ils sont, dans leur ondoyante diversité, non comme des théorèmes qui marchent, goûtant la beauté partout où elle se rencontre, dans un tableau ou dans un livre, au lieu de se faire laborieusement des opinions absolues et arbitraires ; on prend son parti, dût-on passer pour ignorant, de ne pas trouver que M. Cousin ait forcé son talent en écrivant la biographie de Mme de Longueville, et de n’être pas frappé tout d’abord de la séparation des orteils du Christ ou de la ressemblance de Moïse et d’Élie avec « des nageurs qui déploient leurs jambes » dans la Transfiguration au Vatican.

L’esprit de système éclipse souvent le goût chez M. Taine ; la passion de raisonner étouffe le sentiment vrai et mesuré de la vie ; l’idée sommaire et violente qu’il se fait des choses déprime l’intelligence ou l’instinct des nuances. Il a plus de penchant à frapper fort qu’à frapper juste. Il n’a pas assez de ce tact que lui demandait un jour finement M. Sainte-Beuve en lui disant : « J’aimerais en littérature à proportionner toujours notre méthode à notre sujet… » Au fond, dans ce talent touffu et massif qui procède à coups de boutoir ou de formules, il y a une certaine sécheresse, et même dans ses paysages des Pyrénées ou d’Italie, même dans ses profusions d’images, on sent un homme qui regarde, qui voit, qui note des particularités ou des combinaisons, qui décompose un spectacle sans éprouver une de ces émotions qui entraînent et font jaillir l’éloquence. Le monde pour lui est trop, un laboratoire