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LE REALISME
DANS LA CRITIQUE

I. Vie et Opinions de M. Frédéric-Thomas Graindorge, docteur en philosophie de l’université d’Iéna, principal associé commanditaire de la maison Graindorge and C° (huiles et porc salé à Cincinnati, États-Unis d’Amérique), recueillies et publiées par M. H. Taine ; 1 vol. 1867. — II. De l’Idéal dans l’art, par le même ; 1 vol. 1867. — III. Histoire de la Littérature anglaise, par le même ; 4 vol., etc.

La critique, comme tout ce qui tient à la vie intellectuelle et morale, a passé de nos jours par de singulières révolutions. Il serait presque vrai de dire que ce qu’on appelait autrefois de ce nom n’existe plus, et qu’à la place a grandi un art nouveau, une science absolument nouvelle, tant la transformation est radicale et profonde, tant les mots eux-mêmes changent de sens à vue d’œil. Autrefois, aux temps fabuleux de la littérature, lorsqu’on ne cherchait pas encore à voir tout dans tout, la critique était un art infiniment plus indépendant et plus personnel, infiniment plus précis ; elle se ressentait d’un état où tous les genres étaient classés, où la pensée était en quelque sorte distribuée en royaumes distincts et où chacun restait dans sa sphère, le poète comme le critique, l’historien comme le moraliste, l’érudit comme le philosophe. Le critique était un homme de goût, de passion parfois, si l’on veut, mesurant et comparant les œuvres de l’esprit ; il ne faisait pas de livres, il pesait et évaluait les livres. Les vanités blessées l’appelaient impuissant par représaille. — Il n’était pas aussi impuissant qu’on le disait ; ce qu’il avait de force créatrice, il le