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l’attribut spécial auquel ils se rapportent. On voit par là que les modes de la pensée peuvent être non les résultats de l’organisation, mais seulement de la pensée elle-même ; l’âme, à la vérité, est liée au corps comme dans tous les systèmes, mais elle est distincte du corps, et elle n’en est pas l’effet. Remarquons en outre que Spinoza ne dit pas que l’âme est une résultante, c’est-à-dire une pure relation. Elle est, non pas une somme d’idées, mais une idée, elle a donc une certaine unité ; elle est le point central et effectif où viennent converger et se concentrer toutes les idées humaines : elle a donc une certaine individualité. — Mais, dira-t-on, dans le système de Spinoza, c’est l’individualité du corps humain qui fait celle de l’âme ; l’âme ne s’individualise qu’en tant qu’elle pense un corps déterminé, à savoir le sien propre. Je ne juge pas cette doctrine ; cependant, outre qu’il n’a jamais été facile à aucun philosophe de déterminer le principe d’individuation, j’ajoute que le grand docteur catholique, saint Thomas d’Aquin, a précisément sur ce point la même doctrine que Spinoza : comme celui-ci, il croit que l’individualité de l’âme est due au corps, et en général le même docteur soutient que l’individualité vient de la matière et non de la forme. Pour en revenir à Spinoza, on voit qu’il ne dissout point l’âme dans le corps ; j’ajoute qu’il ne la dissout pas même en Dieu. Sans doute il a tort d’appeler l’âme un mode divin, et je repousse entièrement cette expression ; mais enfin, du moment que l’on convient de n’appeler substance que ce qui est absolu, à savoir l’infini lui-même, il importe assez peu de quel nom on appellera ce qui n’est pas l’infini. La quantité d’être que l’on accorde à la créature est essentiellement indéterminée, et elle échappe à toute mesure. Par exemple, si nous nous comparons à Dieu, nous dirons avec Bossuet : « Oh ! que nous ne sommes rien ! » et notre être se réduira à une ombre. Au contraire, si nous nous comparons à tel de nos modes, à telle sensation fugitive, il nous semble que nous sommes un tout, un monde, un infini. L’homme ne peut donc savoir exactement quel degré d’être il possède, et, sans se mesurer au poids de la substance, il doit se saisir surtout dans la conscience individuelle et permanente qu’il a de son activité. Or si l’on songe que pour Spinoza l’idée est une action, que cette action est accompagnée de l’idée d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle est consciente, que d’une part elle tient à Dieu par ce qu’elle a d’absolu et par son essence éternelle, que de l’autre elle ne tient au corps que par sa partie périssable et contingente, on voit que sa philosophie, la question de la liberté mise à part, n’est pas si éloignée du spiritualisme qu’on est tenté de le croire.

Je ne puis m’étendre sur toutes les parties de la doctrine spinoziste qui répugnent à l’assimilation que nous combattons ; mais je