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un siècle, s’est réveillée avec tant d’éclat en Allemagne dans les premières années du siècle présent.


III. — SPINOZA ET LE NATURALISME CONTEMPORAIN.

Les travaux critiques que nous venons d’analyser, en enrichissant utilement l’histoire du spinozisme, ont-ils modifié d’une manière notable l’opinion que l’on se faisait jusqu’ici de cette philosophie ? Non évidemment. La découverte d’une première rédaction de l’Éthique est certainement intéressante en nous montrant par quels chemins passe un grand esprit avant d’arriver à ses conclusions définitives, elle peut même sur certains points apporter quelques lumières nouvelles ; mais quant à l’ensemble du système la physionomie de Spinoza (on devait s’y attendre) demeure absolument ce qu’elle était auparavant.

Reste à savoir maintenant quelle est cette physionomie ? C’est ce qu’il n’est pas facile de dire, car rien n’est plus complexe que le spinozisme, et suivant qu’on le considère sous tel ou tel de ses aspects, on est tenté de le confondre avec les doctrines les plus contraires. Or la disposition générale du temps où nous vivons tend évidemment à faire prédominer une certaine interprétation qui, pour notre part, nous paraît mal fondée ou du moins très exagérée ; ce n’est pas, comme on pourrait le croire, l’esprit exclusif de telle école qui se paie d’une interprétation arbitraire, puisque nous la voyons à la fois adoptée par les écoles les plus opposées, dans des intentions contraires. D’une part en effet, M. Van Vloten, qui appartient manifestement aux écoles les plus avancées et qui dédie son livre à M. Moleschott[1], de l’autre M. Nourrisson, membre de l’école spiritualiste française, sont l’un et l’autre d’accord pour

  1. Écoutons en effet M. Van Vloten dans sa préface latine aux œuvres inédites : « En conservant, il est vrai, le nom de Dieu, tandis qu’il détruisait et la personne et le caractère de Dieu, Spinoza a donné aux lecteurs superficiels une fausse idée de sa philosophie. Ceux qui savent pénétrer jusqu’au fond et ne pas confondre les noms et les choses reconnaîtront qu’il était parvenu de son temps au point même où sont arrivés de nos jours les philosophes post-hégéliens, c’est-à-dire les partisans du naturalisme (philosophiœ scientiœque naturalium cultores). Leibniz trouvait que Spinoza inclinait trop du côté de la nécessité, et craignait qu’on n’en vint à supprimer Dieu ou à le considérer comme une puissance aveugle en supprimant le principe de la convenance et les causes finales. Pour nous, c’est précisément l’exclusion d’un tel Dieu et de telles causes qui est la vraie gloire de notre philosophie. » Voici d’un autre côté comment s’exprime M. Nourrisson : « Critiquer Spinoza, c’est critiquer ces théories mêmes (les théories actuelles), qui ne sont toutes que des variétés du spinozisme, et que l’on appellerait bien, en leur appliquant une dénomination commune le naturalisme contemporain ; car toutes elles concluent à n’admettre d’autre réalité que la nature, c’est-à-dire d’autre réalité que l’univers du corps. »