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connaissance de l’absolue nécessité et une libre résignation à l’inévitable. Pour tous deux, le péché, la faute, le salut et en général tous les concepts moraux doivent s’entendre dans un sens détourné de leur sens ordinaire. La tristesse sera une servitude, car c’est une révolte contre la nécessité, le repentir un péché, car c’est méconnaître les lois nécessaires de la substance. L’homme, dit Leenhof, en reconnaissant son imperfection devient triste et s’irrite en lui-même de voir qu’il est imparfait ; mais doit-il s’en prendre à Dieu de ce qu’il n’a pas une nature plus parfaite ? Dieu produit dans son œuvre des degrés différens de perfections, et personne ne peut mépriser l’œuvre de Dieu et son gouvernement. — On objectait à Leenhof l’exemple des saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, qui avaient pleuré sur leurs fautes : « Eh quoi ! répondait-il, n’auraient-ils pas été plus parfaits, s’ils avaient marché comme des enfans de Dieu dans les voies de leurs pères, réparant leurs fautes avec joie et satisfaction ? »

Leenhof admettait toutes les conséquences stoïciennes d’une pareille morale. L’âme, disait-il, ne doit pas pleurer la perte d’un ami, « car on trouve partout des amis, » d’un mari ou d’une femme, « car personne ne peut être marié éternellement. » Et d’ailleurs « à quoi servent les larmes ? » Les douleurs physiques elles-mêmes peuvent être consolées ; « quand on contemple la nécessité des souffrances dans l’ordre éternel de Dieu, quand on peut se former une idée adéquate de ses peines et de ses émotions, les peines ne sont plus des peines, mais des pensées qui emportent toujours en elles-mêmes quelque satisfaction. » Le sage s’abandonne à la mort avec joie « parce qu’il meurt avec des idées adéquates qui contiennent toujours de la joie. » Leenhof niait que son livre s’éloignât du vrai sens du christianisme, et quant à ceux qui le contredisaient, il les renvoyait hardiment à l’enfer, dont on le menaçait lui-même. « Que si quelqu’un, dit-il, poussé par l’esprit de contradiction ou gonflé de folles illusions, calomnie ma loyale entreprise, il porte son enfer avec lui. »

Un autre spinoziste célèbre du même temps fut Wilhelm Deurhoff[1] (1650-1717), que M. Van der Linde nous dépeint « comme une tête égarée ayant fait une sorte de caricature du spinozisme en rhabillant avec la terminologie biblique. » Il exerça cependant assez d’influence pour que les cartésiens du temps, Wittichius, Andala, Van der Honert, aient cru devoir réfuter ses écrits. Jusqu’à la fin du dernier siècle, les actes de l’église font mention des erreurs

  1. Deurhoff est généralement cité comme un précurseur du spinozisme ; mais il parait qu’au contraire il avait eu connaissance du manuscrit de l’Éthique, et que par conséquent il doit être compté parmi les disciples.