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les attributs divins ; mais Emile Saisset, en signalant cette doctrine, disait qu’elle était très voilée dans Spinoza, et surtout que tout en parlant de ces modes Spinoza n’en donnait aucun exemple. Or la nouvelle éthique confirme ici de la manière la plus heureuse la conjecture du critique français et vient attester sa sagacité. Non-seulement Spinoza y expose expressément la théorie des modes éternels ; mais il en donne deux exemples : l’un correspondant à l’attribut de l’étendue, l’autre à l’attribut de la pensée ; le premier est le mouvement, qu’il appelle « le fils de Dieu immédiatement créé par lui, » l’autre est l’intellect, également « fils de Dieu, créature immédiate de Dieu, dont la fonction est de tout connaître dans tous les temps avec une entière clarté et distinction, d’où naît une joie infinie. » On remarquera cette expression toute chrétienne de fils de Dieu ; ce n’est pas la seule qui se rencontre dans l’esquisse : il y parle aussi de la prédestination ; il conserve encore également l’expression de providence, et même il distingue avec l’école la providence générale et la providence particulière. Dans l’Éthique, tous ces vestiges de la terminologie chrétienne ou scolastique ont entièrement disparu.

C’est surtout dans la seconde partie de l’esquisse que les différences entre les deux rédactions et surtout les lacunes de la première deviennent sensibles. Ainsi ce qui constitue la matière de la seconde partie de l’Éthique fait ici presque entièrement défaut[1]. La théorie des corps simples et des corps composés, la définition de l’âme, la théorie de l’union de l’âme et du corps, des idées adéquates et des idées inadéquates, enfin la théorie capitale de l’erreur, toutes ces vues si neuves et si originales sont ici à peine indiquées. La théorie des passions, non moins importante et non moins originale, est encore confuse et enveloppée. Spinoza ne s’est pas dégagé de la théorie cartésienne. Comme Descartes, il admet six passions fondamentales, et il regarde l’admiration comme la première et la racine des cinq autres, l’amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse. Dans l’Éthique au contraire il n’admettra plus que trois passions fondamentales, le désir, la joie et la tristesse. Enfin on peut également, dans l’Éthique, considérer comme presque entièrement nouvelle ou du moins comme très développée et élucidée la quatrième partie de l’Esclavage, où Spinoza étudie les lois de l’âme, en tant qu’assujettie au joug des passions. Il n’en est pas de même de la dernière partie de la Liberté. La conclusion de

  1. Disons cependant que dans un appendice qui suit le De Deo et homine nous trouvons un chapitre intitulé De Mente humana, qui est évidemment le germe de la seconde partie de l’Ethique ; mais qu’est-ce que cet appendice ? Dans quel rapport est-il avec le traité principal ? C’est ce que l’éditeur ne nous apprend pas ; même dans ce chapitre il y a des différences curieuses et remarquables avec le De Mente de l’Éthique.