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réveilla en effet trente-cinq ans après l’odieuse et sublime tragédie qui en était l’objet.

Tout en se livrant à cette vie littéraire si active et si féconde, M. de Barante poursuivait dans la chambre des pairs le cours de sa vie politique franche, judicieuse et modérée dans l’opposition comme elle l’avait été dans l’administration ; toutes les grandes questions débattues, toutes les grandes lois présentées durant cette époque, la loi du recrutement, la loi du sacrilège, la loi sur les successions et le droit d’aînesse, la guerre d’Espagne, l’indemnité pour les émigrés, les nouvelles lois sur les élections et sur la presse, devinrent pour lui l’occasion de rapports et de discours qui portaient tous le même caractère d’indépendance impartiale, de constance dans les principes généraux et d’équité morale comme d’esprit politique dans leur application aux circonstances du temps. Un fond de tristesse et d’inquiétude perce souvent dans ce langage sévère et réservé ; M. de Barante pensait et parlait alors en homme qui sent dériver, de faute en faute, vers quelque abîme inconnu, l’établissement politique dans lequel il a place et dont il désire sincèrement le maintien. Je retrouve cette impression, plus vive et plus claire encore, dans les lettres qu’il m’écrivit après la formation du ministère Polignac. « C’est un étrange ministère, me disait-il le 29 août 1829 ; on ne saurait se mettre sur un plus petit pied. Ils attendront peut-être la session sans se jeter dans la violation des lois. Je ne leur vois pas espoir de majorité à la chambre. Toutefois je suis porté à croire que, lorsque arrivera, dans une situation quelconque, le moment de subir le joug de la charte, de se soumettre à son effet positif et non plus seulement négatif, alors on deviendra capable des témérités les plus folles. Jusqu’ici il ne me semble pas que leur ancien parti les y pousse ; il se tient fort tranquille dans nos provinces, et, pour dire le vrai, on ne l’excite encore nullement. Nous verrons ce qu’ils essaieront de faire sur les élections partielles du mois prochain. » Deux mois plus tard, le 22 octobre 1829, son inquiétude s’était encore aggravée ; mais elle portait aussi bien sur les dispositions du pays que sur celles du roi Charles X et de son ministère. « Je crains que ce ministère ne soit difficile à déraciner ; je ne conçois pas comment on se résoudra au lendemain de sa chute. J’ai un fonds d’inquiétude que ne dissipe point le sentiment des forces du pays ; si ces forces ne produisent pas un effet purement comminatoire, s’il faut qu’elles se manifestent activement, je tiens tous nos progrès pour bien compromis. »

Il était impossible de mieux pressentir les fautes probables des deux parts et la gravité de leurs conséquences. La révolution de 1830 ne fut pour M. de Barante que la confirmation de son double