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a souvent combattu la politique de lord Palmerston, surtout lors de la guerre de Crimée et de l’expédition contre Canton. Ce qu’on lui reproche, c’est d’exciter les diverses classes du peuple anglais les unes contre les autres. Son animosité contre l’aristocratie s’est surtout manifestée dans l’opposition systématique et acharnée qu’il n’a cessé de faire au cabinet de lord Derby. S’il avait montré à l’occasion plus de résolution, il serait aujourd’hui le vrai chef de la démocratie anglaise ; mais le peuple aime le courage dans ses chefs, et il ne montre pas pour M. Bright cet enthousiasme passionné qu’un homme politique appartenant cependant à l’aristocratie, sir Francis Burdett, avait su inspirer il y a quelques années.

Dans tout autre pays que l’Angleterre, la journée du 6 mai, la retraite de M. Walpole et l’adhésion d’un politique aussi hardi que M. de Bismark auraient singulièrement rapproché du pouvoir M. Beales et ses amis ; mais chez nos voisins d’outre-Manche les choses vont rarement comme elles vont ailleurs. Le fait est qu’à partir de ce moment le gouvernement, qui semblait devoir tomber dans la rue, s’est relevé, et que, d’accord avec la chambre des communes, il a marché avec plus d’autorité et d’un pas plus résolu, dans la voie de la réforme. M. Bradlaugh a donné sa démission de membre du conseil central de la ligue en déclarant qu’il comprenait combien la présence dans le conseil d’un athée tel que lui devait être pénible à un homme profondément religieux comme M. Beales. Évidemment les chefs raisonnables sentaient qu’on avait été trop loin. Et ceci n’est pas un fait isolé ; M. Beales, qui jusqu’au 6 mai n’avait cessé d’employer son infatigable activité au profit de l’agitation, a paru moins ardent lorsqu’il a vu que l’on cherchait à l’entraîner hors des limites légales, et s’il a repris l’attaque depuis, ce n’a été qu’en cédant à la pression de son parti. La loi sur la réforme ne se fait plus dans la rue, elle se fait au parlement par l’action réunie du gouvernement et des élus du pays, et, bien que certains organes de l’opposition témoignent leur mécontentement en disant que la chambre des communes est devenue une convention et qu’elle fait les lois à elle seule, ce n’est pas précisément cela qui leur déplaît ; au fond ce qui les irrite, c’est de voir un cabinet tory parvenir à travers mille difficultés et mille obstacles à se mettre d’accord sur une telle question avec la chambre des communes.

Pour suivre le fil de la politique anglaise, il est bon de ne jamais perdre de vue la question économique, la question d’argent, quelque minime que puisse être la somme dont il s’agit. Les démonstrations populaires en faveur de la réforme avaient un poids considérable tant que l’on pouvait croire qu’elles étaient l’effet spontané